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Last Falls
19 octobre 2014

Chapitre 5: Sur la musique (2010-2011)

L'évolution des goûts musicaux: un parcours désenchanté (02/05/2010). Il est difficile de parler de musique sans parler du contexte dans lequel la musique vient à nous ou dans lequel nous allons vers elle. Tout ce qui va déterminer le parcours d'une vie est lié à un ensemble plus général et ce qui est vrai de nos choix, de nos préférences, de ce qui nous pousse à adopter certaines références dans notre vie au cours de notre éducation, de notre parcours professionnel, du développement de notre personnalité et de la contribution des oeuvres d'art aux expériences qui forgent notre identité, l'est aussi pour la musique.

C'est pourquoi il est parfois bienvenu, quand on parle d'art en général et de musique en particulier, d'évoquer aussi l'Histoire, la politique, la sociologie, la psychologie, la philosophie, la littérature, la culture générale, l'évolution du monde; de mobiliser des ressources documentaires diverses pour mettre en perspective notre rapport à la musique et à son évolution. Cette relation passionnée à un art, la musique, peut révéler un certain désenchantement si le monde lui-même finit par se révéler comme tel au sujet qui le perçoit.

 

La découverte et l'euphorie (02/05/2010). Au cœur des années 70, un tournant se prépare. Un tournant historique, politique et socio-économique. Ce qui allait devenir la globalisation néo-libérale pose ses jalons: fin de la guerre du Vietnam, conférence de Helsinki pour la "Détente" Est-Ouest, émergence du G7, accords de la Jamaïque sur la démonétisation de l'or, chocs pétroliers... La technologie de l'époque est marquée par la naissance de l'informatique transactionnelle, qui va privilégier l'interactivité et le rapport personnel, "en temps réel", de l'utilisateur à la machine: c'est la dernière grande transition vers l'informatique telle que nous la connaissons; Arpanet, le prédécesseur d'Internet, date de cette décennie.

La vie intellectuelle de l'époque se recentre autour de la tradition anglo-saxonne, comme en témoignent l'œuvre du philosophe allemand Jürgen Habermas et sa tendance à corroborer par les faits la pensée communément admise. Plus généralement la notion de "système" (au sens structuraliste du terme) est remise en cause, les théories du chaos et de la complexité s'appliquent à différents domaines du savoir, les sciences économiques intègrent la micro-économie.

C'est d'abord une décennie de contestation politique (mouvements de gauche et d'extrême gauche), sociale et de revendications des minorités qui va prendre par la suite une tournure consumériste et hédoniste. C'est, dans la culture, l'émergence du Nouvel Hollywood au cinéma (influencé par la Nouvelle Vague française et par la contre-culture), le psychédélisme dans les arts plastiques et dans la bande dessinée, de nouvelles expérimentations en musique ("spectrale" en Europe, "répétitive" aux Etats-Unis), le jazz fusion, le hard rock, le punk rock, les premiers balbutiements de la world music, l'internationalisation du reggae et l'évolution de la blaxploitation en musique disco, qui se popularise en même temps que la musique électronique, façonnant notre sensibilité "globale".

C'est ainsi qu'une personne née au cours de ces années peut, sans attache communautaire particulière et sous le coup de la découverte et de l'euphorie ambiantes, développer très tôt des préférences, en matière de goûts culturels et artistiques, dont les origines sont pourtant fortement ancrées dans une culture donnée. Par exemple, les années disco marquent une appropriation de la musique soul par le grand public, par la société au sens large, à la fois vecteur et conséquence du "village global", coïncidant aussi avec une perception "universaliste" de la musique. A tort ou à raison, la musique de quelques-uns devient la musique de tout le monde. Cette évolution peut marquer une vie.

 

Au cœur de la magie et de l'illusion (02/05/2010). On peut se demander d'où vient le (faux) enthousiasme des années 80 qui, comparées aux décennies précédentes, ont été une décennie plus violente et plus injuste que jamais. En 1988 la Banque Mondiale elle-même reconnaît, sans pour autant renoncer à son néolibéralisme, que le bilan économique des années Reagan/Thatcher dans le monde et notamment dans les pays en voie de développement est une catastrophe: pauvreté aggravée, baisse des salaires, augmentation du chômage. Depuis la récession de 1979-1982, les choses n'ont fait qu'empirer avec l'explosion du crédit et de l'endettement, la crise de "surproduction", la course improductive à l'armement au paroxysme de la Guerre Froide et du conflit Iran-Irak - accompagnant la prospérité décadente des multinationales, des banques, des assurances, de la bureaucratie, du marketing et de la publicité.

L'ouvrage "La théorie de la justice" (1971) de John Rawls, qui a connu un retentissement mondial dans les années 80, apparaît comme un vœu pieux, une vue de l'esprit à l'aune des politiques ultra-libérales telles qu'elles sont appliquées. Les deux principes qu'il met en avant sont d'ailleurs critiqués par les plus libéraux, qui reprochent à l'auteur d'encourager la mise en place de politiques sociales: le principe de liberté (égalité des droits) et le principe de différence (tolérance des inégalités à condition que l'accès aux privilèges soit ouvert à tous). La conscience critique des années 80 en France passerait, elle, par un axe sociologique Bourdieu/Baudrillard visant aussi bien les puissances financières que les médias et plus généralement le déterminisme socioculturel à travers la notion d'"habitus".

La pensée des années 80, c'est surtout la "philosophie de l'esprit" attachée aux sciences cognitives et à l'intelligence artificielle, déconnectée donc des enjeux politiques dans une abstraction et une introspection, une sorte de repli de l'esprit sur soi et sur la technique, un débat sur la conscience et sur la pensée des machines où se retrouvent aussi bien des matérialistes comme Churchland que des phénoménologues comme Rorty. Cette pensée s'intéresse également aux réseaux, coïncidant plus ou moins avec la naissance d'Internet qui a été en effet mis en place dès les années 80 même si le World Wide Web, lui, sera plus tardif.

Le pré-adolescent des années 80 est encore un enfant à qui on jette de la poudre aux yeux, subjugué par les clips vidéo et par les CDs (la "magie"), confronté à l'injustice et à la violence du monde dans les faits ou par journaux télévisés interposés (l'"illusion"). C'est un être nomade, disséminé, paradoxal, seul face à la possibilité de son émancipation individuelle et aussi de son aliénation. Sa culture est celle des blockbusters hollywoodiens de l'époque, des séries télévisées américaines, des jeux vidéo et de la musique pop héritée du disco funk ou de la new wave. En même temps, il reçoit les références contre-culturelles (hip-hop, métal) comme parties intégrantes d'une même industrie - autre paradoxe. Dans la marchandisation de la culture et des échanges de biens culturels, il peut tout aussi bien recevoir du jazz et de la musique classique en tant qu'archétypes d'un patrimoine... mondialisé. Il lui appartiendra, dans un deuxième temps, d'approfondir ces références et d'en légitimer la connaissance.

 

La rébellion comme marchandise (02/05/2010). En préface de la réédition la plus tardive de "La société du spectacle", Guy Debord faisait remarquer que tout le monde se référait, après la fin de la Guerre Froide, à la "chute-du-mur-de-Berlin" sans s'interroger sur le sens de ces mots. A force de citer certaines formules comme allant de soi, en l'absence de toute problématique elles finissent par apparaître comme vides de sens. A la limite, on peut parler de "chute-du-mur-de-Berlin" comme de l’"étudiant-de-la-place-Tien-An-Men" (ou de la "catastrophe-de-Tchernobyl"). Cette "chute-du-mur-de-Berlin" s'est voulue le symbole du néolibéralisme triomphant contre l'échec du communisme soviétique, mais l'échec du communisme soviétique ne démontre pas la viabilité du néolibéralisme, surtout pas après le fiasco des années 80. Qu'importe, les soi-disant "experts" (FMI et consorts) ont voulu nous faire croire que c'était le cas.

Ce triomphalisme tout en façade se manifeste par une surenchère scientifique et technologique dans tous les domaines et à tous les niveaux: clonage, OGM, séquençage du génome humain, tests ADN dans la police scientifique, télescope Hubble, GPS, téléphone portable, World Wide Web, engouement pour les "nouvelles technologies" en général... On nous a même dit que les start-ups allaient marcher. C'est aussi la décennie où le sida, identifié dans les années 80, devient une épidémie mondiale affectant gravement les pays "en voie de développement". On peut s'interroger à bon droit sur le fait que la recherche scientifique, pourtant si brillante, n'a pas mis autant de zèle à enrayer cette épidémie.

L'après-Guerre Froide fut sanglante, peut-être pire encore que les années 80: Yougoslavie, Tchétchénie, Colombie, Sierra Leone, Somalie, Algérie, Rwanda, Congo, Israël, Guerre du Golfe, violences et instabilité politique toujours liées, de près ou de loin, aux inégalités économiques engendrées par la globalisation néolibérale. Les prémisses de l'altermondialisme avec le sous-commandant Marcos et le mouvement social des paysans indigènes du Chiapas témoignent d'une réaction d'hostilité et de rejet, de plus en plus ancrée au sein des populations, à l'encontre du système néolibéral et des injustices qu'il provoque dans le monde. Encore faut-il faire la part de la révolte légitime, celle des pauvres et des opprimés, et de sa récupération par des médiateurs dont le discours résonne comme un effet d'annonce sans suite. De même on doutera du fait que, s'agissant de justice sociale ou de conscience écologique, les choses aient vraiment changé après la "fin-de-l'Apartheid" ou le "protocole-de-Kyoto".

Le système ne se dément pas pour autant, il ne se dément jamais et continuera de célébrer jusqu'au bout la chute de son ennemi politique, n'hésitant pas à instrumentaliser la culture pour ce faire. De manière totalement implicite et par un procédé machiavélique échappant ou non aux artistes eux-mêmes selon qu'ils soient naïfs ou cyniques, l'expression de la rébellion, grunge (Nirvana) ou rap (Dr. Dre), devient aussi l'expression du triomphe d'une société de consommation contre un ennemi politique qui n'existe plus. Le mythe du rockeur rebelle ou du rappeur gangsta est plus que jamais un label de l'industrie, une marque de fabrique, une marchandise - ce qui n'exclut encore ni la créativité, ni la sincérité des artistes, ni leur talent. On voit même des ovnis éclairés (Paul Auster, Emir Kusturica, Björk) émerger aux côtés d'un geek beaucoup plus complaisant tel que Quentin Tarantino. Le jeune adulte de cette décennie qui a conscience de la duplicité ambiante saura faire la part des choses, sans engouement total ni rejet systématique. Les années 90, par ailleurs, sont les années qui ont vu mourir Gilles Deleuze, Louis Althusser; Graham Greene, Allen Ginsberg; Stanley Kubrick, Federico Fellini; Roland Topor, Jack Kirby; Olivier Messiaen, Miles Davis. En 1999, il y a 6 milliards d'êtres humains sur Terre.

 

Vers la rupture, pour une alternative (02/05/2010). Les thèses officielles ou conspirationnistes continuent de foisonner au sujet des attentats du 11 Septembre 2001. Mais ces derniers, loin des thèses officielles ou conspirationnistes, n'auront peut-être été qu'une diversion pour détourner notre attention d'un danger autrement inquiétant: le fait que le capitalisme est désormais hors de tout contrôle. Mettre l'accent sur la lutte contre le terrorisme est une manière de déclarer forfait face à la vraie lutte qu'il faudrait pourtant mener, la lutte contre la corruption de la politique, contre les paradis fiscaux qui détournent des milliards au détriment de l'économie et des populations, contre les mafias financières et autres qui se sont emparé du monde et qui sont, d'ailleurs, les véritables causes de tous les terrorismes - ces derniers ne pouvant être financés que par de l'argent noir. A cet égard, tous les "clans" sont coupables, le mal n'a pas de couleur ni de culture.

L'Obamania de 2009, tout à son aveuglement médiatique, veut nous faire croire en des lendemains qui chantent alors qu'aucun engagement fort n'a été pris en matière de politique citoyenne et que, par conséquent, aucun véritable changement d'orientation du système ne s'annonce pour l'heure. Fait symptomatique, Obama lui aussi a mis l'accent sur la lutte contre le terrorisme - diversion toujours et donc vacuité idéologique, désertion politique, absence de volonté, complicité avec les puissances financières qui entretiennent la supercherie.

On a vu l'administration Bush à l'œuvre dans son pays (ouragan Katrina) et à l'étranger (guerres d'Afghanistan et d'Irak) et le bilan est certes mauvais. Pour autant, les seules "alternatives" au pouvoir dans le monde suscitent plus d'inquiétudes que d'espoir: des nationalistes ou des communistes totalitaires, la Chine et son obsession de la croissance et de la productivité,
exploitant son peuple pour se hisser au rang des hyperpuissances mondiales. Si mettre fin à l'impérialisme américain équivaut à passer d'une seule force d'oppression à plusieurs forces d'oppression, il est risqué de penser que ces hyperpuissances désormais plurielles vont s'équilibrer entre elles, alors que tout porte à croire qu'elles vont accélérer la chute d'un système financier et spéculatif n'ayant plus aucun sens ni aucune justification.

En contrepoint, les années 2000 auront été la décennie de la démocratisation du web, une démocratisation à la fois incertaine, aliénante, décevante mais aussi intéressante, non dénuée de points positifs. On a un autre rapport à l'information aujourd'hui, plus libre et plus interactif, ce qui est une bonne chose. Les modes de pensée alternatifs trouvent une voie d'expression et de reconnaissance que leur refusent toujours les médias traditionnels. C'est également vrai pour les artistes underground, à l'heure où les choix culturels opérés par l'industrie des grands éditeurs et des grandes maisons de disques tendent à mettre de plus en plus en avant des productions dénuées de créativité, une écriture sans saveur, une musique qui a perdu son âme. En réaction à cette tendance, le web nous laisse encore la chance d'aller vers une rupture contre la pensée dominante au profit des indépendants et des alternatifs qui ont tellement besoin qu'on les soutienne quand leur sincérité est au rendez-vous, quand ils vivent leur pratique comme un engagement; un engagement pour l'art, pour l'écriture, pour la musique.

 

L’intention dans la musique (02/05/2010). La musique est un art. Elle ne doit pas être un produit de consommation mais demeurer un art, et l’art doit rester au-dessus du commerce. Les artistes font un travail et en tant que professionnels doivent être rémunérés pour ce travail, mais cette nécessité ne doit pas corrompre leur pratique musicale. L’intention doit rester artistique, et l’art par définition s’appuie sur des critères esthétiques et non pas utilitaires ou économiques.

Cette question de l’intention ramène à l’écoute par l’auditeur : comment arriver à cerner l’intention dans l’œuvre quand on écoute un album? Comment définir la sincérité, l’authenticité, l’intégrité dans la musique, ainsi que la liberté créative? Comment être sûr, à l’écoute, que les chansons ou les morceaux ont été écrits par amour de la musique, par passion pour cet art, et non dans le but de vendre des disques? Qu’est-ce qui le prouve? Tout disque mis sur le marché est destiné à la vente, mais comment s’assurer que le contenu, lui, relève bien d’un travail artistique avec une implication et un engagement personnels de l’artiste dans l’œuvre susceptible d’apporter, en même temps qu’un plaisir sensoriel et émotionnel, un enrichissement intellectuel et spirituel à l’auditeur?

 

Premier critère: l'unité (02/05/2010). Pour qu’une œuvre réponde à une même intention, il faut que les éléments qui la composent reposent sur des caractéristiques communes. L’œuvre peut avoir diverses formes, correspondant à des codes esthétiques et culturels différents : elle peut se présenter comme une symphonie, comme un ensemble d’études consacrées à un instrument, etc. ou simplement comme un album de chansons. Il existe différents genres, différents types de musique, différentes classifications. La musique peut être vocale ou instrumentale, sacrée ou profane, etc. Mais quelle que soit sa forme, quelle que soit sa vocation, quel que soit son contexte de réception, l’œuvre traduit toujours un propos fondé sur des postulats de départ et une cohérence, garants de l’unité sans laquelle l’œuvre ne pourrait prétendre à ce titre.

L’existence de différents genres, types, styles de musiques implique différents rythmes, différents harmonies, différentes mélodies, autant de manière de combiner durées, hauteurs, timbres, intensités et silences. L’Histoire et l’évolution des différentes traditions, nourries d’échanges, a prouvé qu’il existe des œuvres d’une grande homogénéité à tous points de vue et, à l’inverse, des œuvres riches en contrastes : une musique peut être tonale ou atonale, rythmique ou arythmique, mélodieuse ou bruitiste, sereine ou violente, rationnelle ou aléatoire, conforme à un genre donné ou fusionnant plusieurs tendances. L’important est que les éléments distinctifs qui la composent, variables d’une œuvre à l’autre, permettent toujours d’identifier l’œuvre à l’écoute, d’en retrouver le fil conducteur. Ces éléments peuvent être rythmiques, modaux, thématiques, stylistiques: c’est selon. La cohérence par rapport aux postulats de départ s’évalue toujours au cas par cas, ainsi que l’unité qui en émane nécessairement.

 

Deuxième critère: la complémentarité (02/05/2010). L’œuvre est une mais elle est aussi plurielle. Même quand cette pluralité est réduite à sa plus simple expression, basée sur un seul rythme, une seule tonalité, plus qu’une structure formelle elle décrit toujours une évolution temporelle, un processus dynamique, une série de variations. C’est pourquoi les codifications théoriques, les conventions et les partitions ne suffisent pas, pas plus que les machines et les programmes qui permettent d’analyser le son : c’est surtout dans la pratique de la musique (pour les musiciens) et dans l’écoute elle-même (pour les auditeurs) qu’il faut essayer de saisir l’insaisissable. C’est pourquoi la musique entretient des rapports privilégiés avec des arts du mouvement tels que la danse ou le cinéma, sans toutefois nous offrir de repères visuels ni visibles. C’est pourquoi il est si difficile de l’appréhender. La musique est sans doute, et de loin, l’art le plus difficile à comprendre, même si l’on peut toujours l’aimer.

La musique se fait tour à tour lente, rapide, continue, discontinue, silencieuse, intense, triste, joyeuse, légère, sombre, simple, complexe, monocorde, polyphonique, harmonieuse, conflictuelle, confiante, désespérée, triomphante, incertaine, monotone, dissonante, entraînante, apaisante. Certaines œuvres sont d’humeur égale, d’autres font le grand écart entre les extrêmes, mais la musique est toujours une figure à dimensions multiples qui redéfinit en permanence les relations que ses paramètres entretiennent les uns avec les autres : les instruments entre eux, la voix avec les instruments, le rythme avec la mélodie, la mélodie avec l’harmonie, l’harmonie avec le rythme, le rythme avec les instruments, et ainsi de suite à l’infini. Les différences sont complémentaires quand elles respectent l’unité, donc les variations, pour être complémentaires, doivent être en relation les unes avec les autres : elles doivent se faire écho, se rejoindre, s’interroger et se répondre. Plus qu’un simple respect de l’unité, la complémentarité doit produire du sens à elle seule, ajouter une profondeur à l’œuvre, créer une ambiance sonore.

 

Troisième critère: la pertinence (02/05/2010). Les variations enrichissent l’œuvre, encore faut-il qu’elles interviennent au bon endroit et au bon moment. Un brusque changement de timbre ou de rythme doit se justifier soit par une composition riche en contrastes, soit par un développement dramatique conséquent. Il n’y a pas de raison a priori pour qu’une chanson devienne plus intense en plein milieu d’un couplet alors que le refrain marque un retour à l’accalmie, ni d’introduire un morceau par des guitares saturées qui disparaissent totalement par la suite, ni de déclencher un bruit de fond inaudible sur un solo de saxophone, ni de jouer en pizzicato les dernières mesures de violoncelle d’un quatuor à cordes alors que cette technique n’a été utilisée ni par les autres instruments, ni dans les mouvements précédents, ni dans le dernier mouvement lui-même. Ce n’est pas seulement une question d’unité et de complémentarité, c’est surtout une question de motivation. L’esthétique a ses raisons que la raison ignore mais un choix de composition doit être motivé, il doit avoir un minimum de justification. C’est un critère de pertinence : la bonne variation au bon endroit et au bon moment.

La pertinence concerne aussi l’interprétation. La musique n’est pas seulement écrite, elle est surtout jouée donc interprétée et les interprétations d’un même titre varient sensiblement d’un interprète à l’autre en fonction du timbre de voix, de la sensibilité, de l’émotion, de l’improvisation voire de la réinvention et de la réécriture partielle ou, tout du moins, du réarrangement. C’est ce qui fait l’intérêt des reprises et du remix dans la chanson, c’est ce qui explique l’incroyable richesse des enregistrements dans le jazz et dans la musique classique ainsi que des différentes versions live. Quand une mélodie triste atteint soudain une beauté bouleversante, il faut que le chanteur y mette plus de cœur. Quand une partition de piano est réputée pour sa virtuosité extrême, vient un moment où la perfection technique ne suffit plus. Dans les deux cas il faut évidemment respecter les nuances de la partition quand elles sont indiquées, mais il faut aussi faire preuve d’une justesse et d’une initiative adaptée, d’une intelligence du morceau, d’une conscience évolutive de l’œuvre, d’une réactivité et d’une appropriation personnelles.

 

Quatrième critère: l'originalité (02/05/2010). La musique est composée et interprétée par des individus, et l’individu est toujours une singularité de l’Histoire dans la mesure où chaque individu est unique. L’artiste est un individu et une singularité d’un point de vue social et culturel, même dans les périodes les moins romantiques et les plus conformistes de l’Histoire, même dans les civilisations les plus traditionnelles – aussi ténue soit parfois la prise en compte de cette différence. Plus que le genre et le type de musique, le style est ce qui permet à l’artiste, compositeur et/ou interprète, d’affirmer sa manière bien à lui d’être au monde. C’est l’originalité. Cette originalité, on vient de l’évoquer à travers la pertinence de l’interprète. Il convient également de la retrouver en amont, à l’origine de la composition, au cœur du processus créatif. C’est une qualité plus générale, qui se manifeste de différentes façons.

Plus qu’un fait individuel, c’est aussi le fait de mouvements collectifs quand de nouveaux genres musicaux apparaissent. Avec l’évolution des techniques, on a vu le rôle central que la figure du producteur pouvait jouer au stade de l’enregistrement. On assiste alors à une synergie d’acteurs et de facteurs, une émulation et une effervescence artistique entraînant dans son sillage tous les individus liés à une même pratique musicale. L’originalité est à la fois sociale et asociale, culturelle et contre-culturelle, individuelle et communautaire. Elle se traduit aussi bien par le timbre de voix particulier d’un chanteur ou d’une chanteuse que par une manière différente de jouer d’un instrument, une approche visionnaire de la composition, un rapprochement inattendu mais réussi entre différents types de musique, une production combinant des effets inédits, la rencontre fusionnelle entre des rythmes et des harmonies qui jusqu’alors existaient dans des sphères distinctes. L’originalité, a des degrés divers, existe ainsi dans la tradition comme dans l’expérimentation : dans les deux cas elle apporte une différence constructive et intéressante, qu’elle soit sérieuse ou fantaisiste, respectueuse ou audacieuse. D’une manière ou d’une autre, l’œuvre doit avoir une originalité propre pour prétendre à une identité elle aussi nécessaire.


Cinquième critère: l'égalité (02/05/2010). Une fois que ces quatre premiers critères: unité, complémentarité, pertinence et originalité sont respectés, il faut s’assurer de leur maintien à qualité plus ou moins égale (ou constante) tout au long de l’opus ou de l’album. La qualité, comme l’écoute dans son ensemble, n’est pas seulement subjective et impressionniste, elle est aussi objective et descriptive. Là non plus, la technique ne suffit pas à la compréhension. Les spécialistes de musique classique l’ont bien compris en notant séparément la technique (d’une part) et les qualités d’ensemble d’une interprétation (d’autre part). Sur des œuvres exigeant un niveau technique très élevé, comme c’est presque toujours le cas dans le classique et dans le jazz voire dans certaines musiques savantes traditionnelles d’origine ethnique, il est certes impossible qu’une mauvaise interprétation technique reçoive une bonne appréciation de ses qualités d’ensemble. En revanche, il est possible qu’une interprétation d’une technique légèrement supérieure à la moyenne reçoive une excellente appréciation d’ensemble.

Dans des traditions musicales moins savantes, la composition peut induire un niveau technique parfois faible voire très faible et même une interprétation carrément mauvaise d’un point de vue technique mais donner de très bons résultats parce que les critères qui définissent une œuvre sont respectés : unité, complémentarité, pertinence, originalité et égalité. On voit bien que ce n’est pas forcément une question de technique d’interprétation, dans la mesure où le facteur technique ne fait pas forcément partie des postulats de départ ni donc de l’ambition du projet et du propos. On ne peut pas reprocher un défaut de technique à quelqu’un qui n’en a pas la prétention, car son intention est ailleurs: son travail peut quand même nous toucher, nous surprendre, nous émouvoir par ses faiblesses mêmes ou par d’autres qualités insoupçonnées. On vérifiera simplement que l’œuvre, dans son ensemble, se maintient plus ou moins à la même échelle : un album de chansons toutes simples est parfaitement recevable si l’album est de qualité égale non seulement en terme de technique mais aussi parce que les quatre premiers paramètres se situent toujours plus ou moins au même niveau. En revanche, dans une œuvre orchestrale d’une extrême complexité, un seul passage d’une simplicité dérisoire peut disqualifier tout le travail à lui seul – l’inverse est vrai aussi. Par-dessus tout, l’auditeur doit pouvoir sentir que l’artiste s’est investi avec autant de plaisir du début à la fin.

 

Avant l'écoute (02/05/2010). Il n’y a pas de hiérarchie de principe entre les genres de musique: si les enregistrements classiques et jazz reçoivent le plus grand nombre d’appréciations élevées et de critiques élogieuses, c’est mérité mais c’est un constat surtout statistique lié à des points de comparaison d’ordre général avec les autres styles sur des critères communs. Dans la mesure du comparable, ces genres sont en effet supérieurs. Ceci dit, mieux vaut un bon album de pop/rock, de métal, d’électro, de rap, de soul ou de chanson africaine ou autre qu’une interprétation de troisième zone d’une œuvre classique mineure. Il y a des chefs d’orchestre qui connaissent très bien leur technique mais qui n’arrivent pas à ressentir certaines œuvres. Les cinq critères indiqués restent applicables à tous les genres de musique. Sur une échelle de 1 à 10, appliquée d’abord à chaque étape de l’œuvre (partie, mouvement, titre de l’album, etc.) puis dans une moyenne générale en tenant compte des différents paramètres musicaux perceptibles à l’écoute, de leurs relations et de leur évolution, les œuvres incontournables des répertoires classique (surtout) et jazz par les interprètes les plus fameux tiendront presque toujours et invariablement leur 10/10, voire leur 9/10 et, plus rarement, un exceptionnel 8/10. Sur ce point le consensus est général.

Dans l’immensité de l’univers musical toutes tendances confondues, c’est beaucoup plus variable. Pour l’écoute du classique, du jazz et des musiques ethniques dites savantes, ainsi que pour le gospel, une règle d’or : à moins d’être vraiment certain, preuve objective à l’appui, de pouvoir contredire un critique spécialisé sur une chronique ou d’y apporter un élément d’analyse pertinent et original, il faut se ranger à son avis, se contenter de le citer ou d’appuyer ses propos et mettre la même note que lui. Cette humilité ne sera jamais contestée. Sur les autres styles, la marge est plus souple et laisse davantage de place aux avis du « grand public » ou des spécialistes de tel ou tel genre : blues, funk, r&b, etc. On peut noter sur une échelle de 1 à 10 selon ces cinq critères, ce qui permet de donner un avis à la fois objectif et subjectif (mais relatif, pas absolu), exprimant une synthèse entre ce que l’auditeur juge bon et ce qu’il aime : au final c’est la même chose. Ou alors on peut simplement indiquer ses coups de cœur, ce qui correspond à un avis plus subjectif mais tout autant assumé. Chacun est libre face à l’écoute.

 

Chronique de l’album de Maxwell "Maxwell’s urban hang suite", 1996 (02/05/2010). Rythmé, entraînant, l'instrumental "Urban Theme" donne le ton du style Maxwell dans ses aspects les plus forts et les plus optimistes avec déjà la maturité musicale et une influence jazz bien digérée. On enchaîne avec un "Welcome" qui, toujours dans un registre cool et classieux, révèle la voix de Maxwell, une approche méditative de la soul tout en sérénité et en confiance. Les accents hip-hop soul de "Sumthin Sumthin'", discrets et feutrés, confirment ce côté suave et agréable à l'écoute. La basse très présente façon acid jazz sur "Ascension" contraste habilement avec les moments où le chanteur s'élève dans les octaves, avec toujours la richesse des instruments et des arrangements comme transition. Plus dépouillé et plus axé sur un beat adouci par des chœurs de murmures qui reviennent en boucle dans un crescendo d'intensité, "Dancewitme" est un pari plus risqué mais gagné.

Dans un enchaînement très lisse, on passe alors au Maxwell romantique, grand amateur de slow jams et qui s'adresse surtout cette fois à son public féminin avec ce "Til The Cops Are Knockin'" dont la langueur s'avèrerait vite ennuyeuse si l'artiste n'évitait pas, heureusement, de sombrer dans la mièvrerie. On retiendra l'essentiel: la musique reste de qualité. Langoureux, c'est en effet ce que l’on peut dire a fortiori de "Whenever" où le chanteur, seul avec une guitare acoustique, trouve une occasion privilégiée de mettre sa voix en valeur. On lui reconnaîtra au moins ce mérite. Toujours dans la douceur extrême, le dialogue entre la voix fragile et le sax mélancolique font de "Lonely" un très beau morceau en définitive. Car il y a une certaine beauté dans tous ces slows, même dans "Reunion", mais ils s'écoutent dans une ambiance, l'ambiance de l'album, ce qui prouve l'unité de l'ensemble et tant mieux mais c'est là néanmoins que Maxwell trahit aussi une certaine faiblesse à trop mettre en avant le thème de l'amour. C'est sa cohérence et ce sont aussi ses limites.

Le "Suitelady" revient équilibrer les choses en permettant à la rêverie et à la spiritualité poétique du son d'ouvrir le sentimentalisme sur des horizons plus lointains avec une aura plus grave et plus profonde. Ces horizons plus lointains, on les caresse avec "The Suite Theme", presque instrumental et toujours frappé du sceau de Stuart Matthewman, fruit d'un premier album né dans le berceau de Sade et destiné à voler de ses propres ailes pour apporter sa pierre à l'édifice du genre nu soul. Note: 8/10.

 

Chronique de l’album de Maxwell "MTV unplugged", 1997 (02/05/2010). Quand un premier album, "Urban Hang Suite" en l'occurrence, est destiné à marquer durablement la carrière d'un artiste, on peut s'attendre à ce qu'il résonne dans le live qui lui succède juste après. C'est ce que montre la track-list de cet "Unplugged" annonçant des variations sur des titres déjà connus. Il s'agit donc d'exploiter un potentiel encore riche tout en mettant à profit les particularités d'une prestation live, surtout l'improvisation, même une improvisation en retrait, diffuse et un peu secrète qui s'inviterait dans le background de l'écriture musicale pour changer la donne en vue d'une plus grande chaleur communicative.

C'est par exemple le changement de rythme et de tempo à la quatrième minute sur "The Suite" où l’on passe tout d'un coup du plus lent au plus rapide. Mais ce n'est que la partie la plus visible de l'iceberg. C'est aussi une manière plus progressive de marquer ce changement sur "Sumthin'" en mettant à contribution les applaudissements pour marquer le passage à une plus grande intensité. Du coup on sent le public réceptif et on sourit d'entendre les femmes dans la salle réagir aux "Will you marry me" et autres "Let's get married" sur le funky "The Lady Suite".

Avec sa reprise de "This Woman's Work" c'est Kate Bush qu'il veut incarner, objectif surréaliste mais qui lui permet de faire encore la démonstration de son extraordinaire maîtrise vocale, même quand la voix monte très haut. C'est avec une voix plus grave qu'il enchaîne sur un "Whenever" accompagné de violons cette fois, de quelques percussions discrètes et d'un sax émouvant. L'audience est conquise. C'est le moment de bouger et de claquer des mains: "Gotta Get Closer", endiablé, arrive lui aussi au bon moment. Quant au "Til The Cops Are Knockin'", il offre une conclusion tout en douceur, apaisante et harmonieuse avec encore de beaux échanges entre le chant, les chœurs et les instruments. Cet "Unplugged" sort de l'ombre d'"Urban Hang" et s'affirme en tout point comme un album à part entière. Note: 8/10.

 

Chronique de l’album de Maxwell "Embrya", 1998 (02/05/2010). "Embrya" s'ouvre sur le beat mis en avant et la basse grondante, presque minimaliste, de "Everwanting" où Maxwell brode en boucles, laissant l'alchimie opérer avec l'aisance qu'on lui connaît au fur et à mesure que les autres instruments rentrent dans la danse - un aboutissement, une pièce maîtresse. Même accroche rythmée quand on passe à "I'm You", une réflexion sur l'identité qui rejoint la musique dans l'équilibre entre les sons et les influences: les frontières s'effacent sans sombrer dans le chaos. L'identité est une réinvention, une reconstruction, avec une constance remarquable. On se laisse gagner par la subtilité des arrangements, au point où chaque nouvelle écoute est presque une redécouverte totale. Ce qui frappe d'emblée dans "Luxury" c'est sa mélodie à tous points de vue: l'agencement des notes et sa mise en valeur tant au niveau du chant que dans chaque partition instrumentale. Pour autant, quel rythme toujours! Enchaînerait-on les perles?

"Drowndeep" calme un peu le jeu mais on a une basse toujours forte, fil conducteur pratiquement en vis-à-vis avec le chant. Une grande impression d'unité s'en dégage. On ne pouvait envisager de meilleur antidote pour pallier aux éventuels excès de romantisme. Et comme ici une bonne nouvelle n'arrive jamais seule, "Matrimony" continue dans le rythme omniprésent, à la fois relax et dansant. On est de plus en plus impressionné par la prestation vocale, davantage par son inventivité à se renouveler que par sa virtuosité. L'ensemble, autrement, risquerait de paraître trop linéaire. On a pour l'instant évité l'écueil de la chanson d'amour sirupeuse, celui de la monotonie se tient en embuscade, n'était l'enchaînement fusionnel avec "Arroz Con Pollo" dont les accents latins et instrumentaux nous font quand même rêver.

Comme on pouvait s'y attendre, c'est là que la sérénade reprend ses droits. A ce titre, "Know These Things", rien de nouveau sous le soleil depuis les longs cris du cœur d'"Urban Hang" sinon une tristesse, une nostalgie et une gravité qui invitent au voyage plus loin encore. Il faut s'incliner, c'est magnifique. Les gros sons de basse reviennent avec "Submerge", quelques arpèges de piano en apesanteur. Le chant caresse les instruments, on plane loin au-dessus de tout. On se sent bien. Dans son genre ce titre est parfait, vraiment parfait. "Gravity" continue dans la lévitation et c'est là, eurêka, qu'il trouve la solution pour repousser l'ennui: des accords de guitare électrique nerveux juste ce qu'il faut, légers comme des petits nuages. On revient sur l'harmonie de tous les instruments: un chef d'oeuvre. On est donc allé très haut, si on doit redescendre c'est uniquement pour se retrouver sur une île paradisiaque. Alors on est allongé sur la plage, "Of My Life" est ce qu'on écoute à ce moment précis. "Embrya" conclut par quelques sons étranges, des bribes d'inconscient. Car si l'album nous endort, on s'endort pour rêver et c'est merveilleux. Note: 9/10.

 

Chronique de l’album de Maxwell "Now", 2001 (02/05/2010). "Now" c'est d'abord "Get To Know Ya", sa guitare folk hypnotique qui nous reprend là où "Embrya" nous avait laissés: dans le rêve donc. C'est aussi, dès cette chanson, l'influence de Prince qui se révèle comme jamais auparavant, du meilleur Prince, celui de la justesse de ton, de l'exigence et de la rigueur. Un titre flamboyant, charismatique, festif et planant. Suit "Lifetime", de prime abord moins surprenant sur un rythme slow mais on se laisse gagner par l'intensité progressive du chant, toujours un bonheur de retrouver un vrai titre soul. Le problème avec "Was My Girl" c'est son caractère prévisible, encore une fois c'est très slow, on sent même que le propos dès le début va traîner en longueur. Mais dès la deuxième minute on comprend que c'est la conclusion qui va tout emporter, les trouvailles au niveau de la production, des arrangements, des sons inédits et d'une interprétation vocale qui reste impeccable du début à la fin.

"Changed" résume parfaitement, lui aussi, le tournant opéré par cet album: on sort du schéma qui coupe l'oeuvre en deux avec l'up tempo d'un côté et les slows de l'autre. Ici les chansons ressemblent un peu à des personnalités différentes qui se mélangent habilement dans une soirée. On a à la fois la tranquillité, la force, le renouvellement du dialogue à travers des échanges inattendus et intelligents, une maîtrise technique et une maturité accrue. Il y a une telle cohérence dans l'approche du chant et du son en général que les changements de rythme et de tempo d'un morceau à l'autre s'imposent comme une évidence naturelle. Alors on peut passer facilement du très rythmé "Noone" au très lent "For Lovers Only". Car "Now" est avant tout un album de matière, de texture, de trame sonore. Le chanteur se fait chef d'orchestre, sa voix dirige le tout et on retrouve le même effort de cohésion à tous les niveaux de l'interprétation et de la production.

Bénie soit l'influence de Prince, bref, si elle lui permet enfin d'oser être plus rock comme le prouve "Temporary Nite", le titre le plus enthousiasmant de l'album avec "Get To Know Ya". Si l’on a compris cette dynamique d'alternance on s'attend donc à ce que "Silently" soit "so soulful again" et à ce que "Symptom Unknown" évoque, comme une réminiscence personnelle, la guitare folk du début, plus quelques effets psychédéliques bien sentis, un regard sur "Baby I'm Gonna Leave You" d’Anne Bredon revue par Led Zeppelin et sur quelques perles de Radiohead histoire de garder l'influence rock sous le coude même si elle ne survit qu'au stade d'allusion. Plus qu'une allusion, le grand retour de Kate Bush à travers la reprise de "This Woman's Work" exhumée du "MTV Unplugged" et qui valait bien, après tout, sa version studio comme un juste retour des choses. Un peu de disco pour conclure? Allez, ce sera "Now At The Party". Note: 9/10.

 

Chronique de l’album de Maxwell "Black Summers’ Night", 2009 (02/05/2010). Il fallait oser, après huit ans d'absence, revenir sur une ouverture aussi slow que les premières mesures de "Bad Habits". Oui mais voilà, méfiez-vous de l'eau qui dort car "Bad Habits" c'est pratiquement un changement de tempo par minute et quel changement! Et dans quel déchaînement de cuivres, de percussions! Le ton de ce premier volet de "Black Summers' Night" est donné: vous voulez du rythme, du vrai swing jazz, vous allez en avoir! "Cold", comme son nom ne l'indique pas, nous entraîne de plain-pied dans une frénésie et dans une complexité rythmique sans équivalent dans les albums précédents de Maxwell. Par contre, il n'a rien perdu de son sens de l'harmonisation et du dialogue entre la voix et les instruments, une véritable alchimie. Plus slow que "Bad Habits" mais tout aussi progressif et finalement surprenant, "Pretty Wings" maintient la température ambiante, caliente.

Encore une fois sur un rythme qui ne ressemble à aucun autre, "Help Somebody" fera plaisir à tous ceux qui avaient aimé les titres rock de "Now", l'opus précédent. Coup de cœur particulier pour ce titre. Aucun doute quand on passe à "Stop The World", on a bien retrouvé l'alternance entre morceaux lents et morceaux rapides, alternance qui structurait "Now". Mais tant au niveau du rythme que de l'harmonie et de la mélodie on découvre une sensibilité encore plus éclairée, une plus grande virtuosité sur le plan technique, une émotion préservée voire mieux mise en valeur par une réactivité de tous les instants.

"Love You", loin de l'excès de sensiblerie que l’on redoutait parfois dans ses premiers albums, résonne comme un coup de fouet où se révèlent la sincérité, la force et la pureté des sentiments: la tendresse est puissance, up tempo! Et là-dessus encore un titre, "Fistfull Of Tears", qu'on n'a pas le temps de voir passer. Donc oui, "Playing Possum" et sa guitare acoustique nous reposent un peu, car à trop chauffer on risquait de brûler. On savourera au passage l'authentique tonalité jazz de cette guitare, le timbre qui va avec, la trompette mélancolique et les percussions en renfort. Quant à "Phoenix Rise", place aux musiciens: le chanteur a bien parlé, chacun son tour. Et vivement les volets 2 et 3 de cette trilogie. Ou plutôt, qu’il prenne son temps. Note: 9/10.

 

Chronique de l’album de Sade "Diamond life", 1984 (04/07/2011). La beauté et la force dans l'élégance musicale chez Sade, c'est plus que l'élégance elle-même: elle va à l'essentiel car elle part du cœur et lui revient. Là où d'autres affichent une élégance hautaine, toute dans la défiance et dans le paraître, Sade Adu est vraiment classieuse car son style impeccable émane de qualités humaines plus profondes, l'amour et la compassion ainsi que la loyauté, en particulier envers l'être aimé. Quand elle dénonce l'envers du décor, c'est avec douceur et tristesse, comme un baume apaisant, mais aussi avec sérénité et détachement car elle n'a rien à se reprocher. Entre joie et mélancolie, toujours avec tranquillité, la figure de l'artiste, de la femme, personnage de ses propres chansons, nous fait partager son univers intime, un univers dont l'ambiance feutrée nous apaise à notre tour. 

Le partage, c'est l'essence même de la musique de Sade: plus que d'une chanteuse, aussi exceptionnelle soit-elle, il s'agit d'un groupe dont chaque musicien nous livre son talent comme une pierre d'angle indispensable à l'édifice. Ce dernier peut avoir tour à tour l'apparence d'un lieu, d'une ville, d'un paysage lointain, d'une histoire, nous y sommes toujours conviés. La puissance de suggestion de leurs titres, leur talent figuratif, dépassent les seules paroles. La musique elle-même parvient à décrire un décor où l'auditeur se projette. Le rythme de "Smooth Operator", adouci par les percussions, évoque une scène d'intérieur. La basse qui le caresse suggère la pénombre, la fumée, les regards qui se croisent de loin ou se noient dans l'alcool. Le clavier souligne les détails de la scène, les allées et venues. Le sax est chaleur, lumière, tenues brillantes, jeux de scène ou de séduction. La voix, quant à elle, incarne la présence humaine. Malgré le premier rôle joué par l'homme manipulateur, celui qui a "des yeux d'ange mais un cœur froid", l'harmonie du groupe raconte déjà une amitié solide, une amitié appelée à survivre à toutes les trahisons ("I Will Be Your Friend").

Ce qui frappe en effet dès les premiers accents de "Diamond Life", c'est à quel point la cohésion du projet s'affirme avec assurance et maturité, comme si les musiciens se connaissaient depuis toujours. Chaque morceau, emblématique en puissance de par son charisme, son évidence et sa simplicité, ne fait que le confirmer. Les titres, gravés dans la mélodie du refrain, se contentent de quelques mots pour rester dans nos mémoires et fonctionnent, chez les musiciens de Sade, comme autant d'appels au ralliement pour vivre ensemble une nouvelle expérience. Il faut expliquer pourquoi il serait réducteur de n'y voir que des hits potentiels, ce qu'ils sont au demeurant. L'album oscille entre deux polarités d'influence soul/jazz: une polarité swing/optimiste ("When Am I Going To Make A Living", second temps fort de l'opus après "Smooth Operator"), séparée d'un seul titre de la polarité blues/pessimiste ("Sally"). L'ordre des titres, et leur proximité, montrent que l'espoir se nourrit d'avoir touché le fond. C'est aussi une question d'équilibre, un équilibre qui autorise toutes les transitions. Aucune des autres chansons de l'album n'est aussi sombre que l'une ni aussi nonchalante que l'autre. En bien ou en mal, l'amour reste roi ("Your Love Is King").

C'est dans l'équilibre que les détails prennnent place, créent le raffinement et font la différence: si le sax souligne la voix, lui répond, vient à son renfort dans "Smooth Operator", il la précède dans "Your Love Is King", lui déroule le tapis rouge tout en imposant son solo avec plus d'éclat pour finalement se mélanger avec elle. La syntaxe instrumentale n'est donc pas la même d'un titre à l'autre, de nouveaux rapports se dévoilent selon les circonstances. La section rythmique, basse comprise, est nettement plus présente sur "Hang On To Your Love", il y a un effet d'insistance, qui traduit l'idée de persévérance face aux épreuves. "Frankie's First Affair" est plus doux, plus mélodieux, mais aussi plus riche en contrastes dans les variations d'intensité vocale.

"When Am I Going To Make A Living" est un paroxysme à tout point de vue, c'est le titre le plus entraînant, le plus festif, le plus chantant, dont les arrangements mettent le plus à contribution toutes les couleurs instrumentales et dont, vocalement, les couplets nous accrochent et le refrain emporte tout: sans conteste un des piliers de l'album. Comme son prolongement atmosphérique, "Cherry Pie" prend la suite en sublimant la basse, avant d'évoluer dans une synergie parfaite, typiquement jazz, où le timbre vocal fait corps avec les autres timbres. On note que la voix de Sade, habituellement grave, sait jouer avec les octaves et le volume sans jamais perdre le contrôle. On déprime en beauté avec "Sally", hommage au plus vieux métier du monde, puis "I Will Be Your Friend" qui nous sort du ruisseau, où voix et sax apparaissent plus soudés que jamais sur percus légères et basse ronronnante. "Why Can't We Live Together" et sa longue introduction instrumentale permettent au groupe de se démarquer à la fin de ce premier album quasi parfait: malgré un aspect un peu trop répétitif et prévisible par moments, "Diamond Life" réussit le tour de force d'aligner neuf titres de facture exceptionnelle, au service d'une même ambiance avec une grande humilité. Note: 9/10.

 

Chronique de l’album de Sade "Promise", 1985 (04/07/2011). Posons un paradoxe et oublions un instant que Sade chante l'amour. Concentrons-nous un peu plus sur la musique, non pour en parler froidement mais pour ouvrir d'autres perspectives, élargir le champ des émotions de l'auditeur, aller plus avant dans l'évasion, dans le rêve. On sort de l'écoute de "Diamond Life" avec le sentiment d'avoir côtoyé une pièce maîtresse, d'avoir vécu une expérience tout à fait singulière. La question qui doit se poser à partir de là se montre d'autant plus pressante: que va-t-il se passer ensuite? La réponse arrive dès les premières mesures de "Is It A Crime", avec sa section rythmique puissante et son sax déchirant, en contraste avec la sensualité apaisante du duo entre la basse et la voix qui leur succèdent naturellement. Il ne s'est pas encore écoulé trente secondes. Mais au cours de ces trente secondes, on est déjà submergé, prix aux tripes, touché à chaque extrémité de l'éventail de notre sensibilité. Cette chanson s'annonce comme d'une beauté à couper le souffle, annonçant un album lui-même d'une beauté à couper le souffle. C'est une promesse. Et voici la promesse, pour les années à venir, que Sade formule déjà au cours de ces trente premières secondes, celle de nous raconter une histoire à la fois belle et vraie. Chaque chanson et chaque album seront fidèles à un même état d'esprit, déjà évoqué avec "Diamond Life", proche-lointain, à la fois intimiste et accessible, porteur d'un bonheur mélancolique, dont la fragilité suscite la compassion et dont la compassion nourrit la force tranquille. Chaque chanson et chaque album, en même temps, écriront un nouveau chapitre de cette histoire belle et vraie, un chapitre différent, une étape supplémentaire dans une évolution cohérente, avec recul et maturité. Cette promesse est d'autant plus extraordinaire que la chanson "Is It A Crime" s'annonce comme un chef d'oeuvre, sans doute le chef d'oeuvre définitif de Sade. Les albums suivants nous montreront comment une oeuvre puise son inspiration et trouve sa raison d'être d'avoir accouché de son chef d'oeuvre s'il ne doit en rester qu'un, mais pour l'heure c'est la charnière entre "Diamond Life" et "Promise" qui nous retient encore, car c'est bien à son niveau que tout va se jouer. 

"Diamond Life" affichait le rare défaut d'une immense qualité, la propension à générer ses propres standards comme une matrice humaine et artistique. La formule était bien rodée. Mieux, elle s'exprimait avec une sincérité sans faille. Mais le registre soul, celui de l'émotion vocale notamment, pouvait s'y sentir un peu à l'étroit. La déchirure, personnifiée par "Sally", montrait encore timidement sa cicatrice. La musique ouvrait sur d'autres horizons mais se plaisait à rester entre quatre murs. Il fallait poser les bases tout en marquant les esprits. Restait encore à s'émanciper d'une maîtrise dont l'insistance risquait de se révéler pesante, étouffante. Une autre maîtrise, dans l'ombre, tendait déjà la main à "Diamond Life", celle de pouvoir enfin crier ses blessures intérieures avec une intensité dramatique sans commune mesure. Ce que le rythme carré de "Smooth Operator" et son ambiance piano-bar ne pouvaient offrir à Sade, "Is It A Crime" le lui permettrait.

Avec ce joyau noir aux reflets sombres, ce ne sont plus le rythme, l'harmonie et la volonté de bien faire qui servent de socle au registre émotionnel, c'est le registre émotionnel qui inspire et qui orchestre le rythme, l'harmonie et la volonté de bien faire. Plus encore, c'est la vie intérieure qui nous irradie et tout émane de sa violence, de son désarroi et de son espérance. Tout se déploie, tout se met en place sous son impulsion, et soudain tout devient clair d'une lumière intense qui s'adoucit, guérit nos yeux après les avoir brûlés. On peut énumérer une par une les qualités musicales de l'album "Diamond Life" tout entier, on les retrouve transfigurées dans "Is It A Crime": sens du partage entre les musiciens, force d'évocation figurative et narrative, simplicité emblématique, double polarité blues et swing, goût de l'équilibre, richesse du détail. Le supplément d'expressivité personnelle se traduit par le fait que là où on avait un thème vocal ou instrumental majeur pour identifier le titre, ici on en a plusieurs. Que ce soit à la première, à la deuxième, à la troisième, à la quatrième, à la cinquième ou à la sixième minute, il y a toujours un passage fort, vocal ou instrumental, pour nous rappeler d'une manière différente que la chanson n'a pas encore tout dit. On n'a plus un dialogue privilégié entre deux instruments mené d'une certaine façon pour marquer le coup, mais plusieurs dialogues entre plusieurs instruments menés de plusieurs façons différentes. Et jamais dans l'album précédent force et douceur ne s'y étaient côtoyés avec une telle évidence ni avec autant de passion, jamais la voix n'avait conclu avec une telle majesté, une telle incandescence. Faites l'expérience, si ce n'est déjà le cas, d'aller à un concert de Sade, même plus de vingt-cinq ans après la sortie de "Promise", et vous pourrez constater en live que le moment le plus fort du concert, s'il ne doit en rester qu'un, c'est "Is It A Crime".  

Aligner onze titres comme celui-ci serait intenable. Son bonheur est d'être unique. Réitérer l'expérience serait même préjudiciable à l'ambition narrative du projet musical. Il y a encore tant de choses à dire, à raconter. C'est la promesse. Après les grondements dans le ciel, la pluie, comme un clin d'œil, sert d'introduction et de conclusion à "The Sweetest Taboo", un des plus beaux hits de Sade, qui par sa linéarité aurait déjà pu figurer sur l'album précédent, n'étaient une légèreté accrue dans le rythme et une subtilité plus prononcée dans les arrangements qui nous montrent la différence, ce qu'est une jolie chanson, toute simple, à la manière de "Promise". Dont acte. Ressent-on, pour autant, une transition brutale? Nullement. L'orage a pu éclater; si la pluie, fine, se fait caressante, c'est le signe d'un soulagement et d'une libération. Aussi "War Of The Hearts" peut-elle nous faire rêver dans la continuité du voyage. C'est la version douce d'une histoire dans l'histoire, d'une poésie sonore qui se renouvelle jusqu'à la dernière parole, jusqu'à la dernière note. A ce stade, on est déjà tellement loin, comme plongés dans une profonde contemplation, que quelques notes de piano suffisent, au cœur de la deuxième minute, pour nous révéler des paysages intérieurs insoupçonnés, dans l'envoûtement des longues nappes vocales et des cuivres chaleureux. "You're Not The Man" leur donne un prolongement mélancolique, c'est le moment d'une plongée dans le blues annonçant "Jezebel", fille ou sœur spirituelle de "Sally" et dont les accents langoureux nous donnent encore plus envie de vibrer pour elle, peut-être tout simplement parce que "Jezebel" va encore plus loin que "Sally" dans la tristesse et dans la gentillesse qui lui survit. Son oppresseur désigné pourrait se révéler sous les traits de "Mr. Wrong", type masculin rappelant celui du calculateur ingrat, qui jouait déjà avec les coeurs dans "Smooth Operator". Les parties a cappella, au début et à la fin, marquent une rupture pour mettre la voix féminine en valeur dans une situation quasi théâtrale où il s'agit de dénoncer l'intrus et d'encourager la jolie fille à s'enfuir.

On ne le rappellera jamais assez, Sade est un groupe et, pour la première fois, recourt au procédé typiquement jazz du titre instrumental, "Punch Drunk" en l'occurrence, parmi les titres vocaux pour souligner l'esprit fraternel qui anime l'ensemble du groupe, après avoir souligné la voix de Sade Adu dans "Mr. Wrong". Passé cet intermède feutré, c'est un élan résolument funk et optimiste qui relance l'album: "Never As Good As The First Time", à rapprocher de "Sweetest Taboo" de par son aspect entraînant et sa légèreté. Un titre lumineux, indispensable à l'équilibre de l'opus. Et puis c'est une nouvelle pièce maîtresse qui fait son apparition dans l'univers musical de Sade avec "Fear": l'Espagne, terre aride et passionnée, qui attirait déjà la chanteuse bien avant qu'elle ne décidât de s'y établir. Elle y chante en partie en espagnol, sur des notes de guitare andalouse, une mélodie d'une profondeur intense, suggérant les relations secrètes qui unissent le blues américain et la nostalgie latine. Cette transition s'impose d'elle-même, contre toute attente, un peu à la manière du Miles Davis de "Sketches Of Spain". Cette chanson, "Fear", d'une beauté bouleversante, offre des passages rythmiques puissants qui n'ont rien à envier à "Is It A Crime", comme un écho lointain sur une terre porteuse de nouveaux espoirs, espoirs du refuge dans la quête d'une intimité et d'une authenticité plus grandes. "Tar Baby", dans un habile crescendo, passe de la tristesse au refrain dansant, avant de laisser "Maureen" conclure sur un ton désabusé mais heureux. Promesse tenue. Note: 10/10.

 

Chronique de l’album de Sade "Stronger Than Pride", 1988 (04/07/2011). Quand on a aligné deux albums comme "Diamond Life" et "Promise", on n'a déjà plus rien à prouver. Reste à se débarrasser du poids de la perfection. Le premier album était déjà quasiment parfait, manquait ce supplément d'âme que le deuxième lui a apporté. Le résultat fut intense. Mais toute perfection humaine est relative, car la condition humaine est limitée. Les artistes n'atteignent jamais la perfection dans leur art que dans une certaine mesure, dans la voie qu'ils ont choisie à un moment donné, sur un projet donné. Après ils découvrent que la perfection n'est pas ce qui importe le plus. Refaire "Promise" ne sert à rien. Ce qui a été gravé une fois existe toujours. Il faut aller de l'avant. Le problème est de savoir ce qui peut compléter la perfection sans la gâcher. Si c'était simplement profiter de la vie? Chaque album représente toujours un travail considérable. Le talent, à ce stade, consisterait à faire en sorte que l'auditeur ne perçoive plus du tout l'effort, ressente simplement le plaisir de l'écoute. Cette idée impliquerait que les deux projets précédents, aussi parfaits fussent-ils, avaient chacun une charge trop lourde à porter.

Concernant "Diamond Life", et plus généralement, il faut bien comprendre que la batterie et les percussions ne font pas vraiment partie du noyau dur des instruments du groupe si on raisonne en termes de formation constante. Sade, rappelons-le, c'est avant tout: Sade Adu (voix), Stuart Matthewman (sax et guitare), Andrew Hale (claviers), Paul S Denman (basse), même si ce sont les noms de Dave Early au début et surtout de Martin Ditcham qui reviennent à la base de la section rythmique, d'album en album à la seule exception de "Lovers Rock". On peut donc s'interroger sur l'importance dominante de la batterie et des percussions en réécoutant des titres comme "Smooth Operator" ou a fortiori "Hang On To Your Love", et sur le fait que les claviers, en comparaison, semblent en retrait. On objectera que c'est la conséquence même de ce qui définit un groupe dans les traditions du rhythm & blues, du funk et du rock. C'est oublier que Sade, dès le départ, n'est pas un groupe comme les autres. Leur optique musicale, aussi évidentes que leurs chansons puissent paraître à première écoute, s'inscrit dans une recherche paradoxale où les bases rythmiques et l'impact du rythme sont fondamentaux mais où c'est la mélodie, en dernière analyse, qui doit inspirer le rythme. Cette mélodie, déjà une harmonie en soi de par sa complexité de couleurs, repose sur les quatre ou cinq instruments nommés plus haut: la voix, le sax, la guitare, les claviers, la basse. Si la batterie et les percussions s'imposent parfois dans leur rôle de tuteur, c'est parce que les mélodies de Sade sont porteuses d'une exigence, au service d'une émotion. C'est au prix de cette rigueur que cette émotion s'exprime avec la plus grande justesse. Si le rythme doit s'effacer parfois, la mélodie, ou plus exactement l'harmonie des mélodies avant même l'harmonie de l'ensemble, doit prouver qu'elle a intériorisé le rythme, qu'elle est capable de générer son propre rythme et ainsi de voler de ses propres ailes. L'album "Stronger Than Pride" incarnera la plénitude, la légèreté, la douceur de vivre sous le soleil de l'Espagne.

Avec une douceur aérienne, la chanson éponyme ouvre l'opus. Les percussions n'ont jamais été aussi caressantes, comme des battements de cœur. C'est la part belle à la mélodie. On ne sait pas si c'est juste une introduction, une pièce maîtresse ou une chanson agréable parmi d'autres, et cette considération n'a aucune importance. Chaque chapitre de l'histoire a son rôle à jouer. Ce qui est vrai pour la succession des albums l'est aussi pour le détail des titres. La narration musicale s'écrit dans la chaleur floue et lascive de "Stronger Than Pride". Son évolution est si progressive que le refrain se fond complètement dans les autres paroles. Dix secondes avant la deuxième minute et pendant plus de trente secondes, un nouveau développement se fait jour, plus intense, précédant le premier solo de guitare. Ce moment s'impose avec plus de ferveur que le refrain. On est passé du "I won't pretend" au "I still really love you". Les choeurs et sons de flûtes, qui ponctuaient discrètement le chant, accompagnent désormais la guitare et les percussions pour conclure, passé le cap de la troisième minute, dans un délice instrumental. Le rythme reprend pleinement ses droits avec deux titres entraînants, "Paradise" et "Nothing Can Come Between Us", les deux hits de l'album comme enchaînés dans une continuité idéale. La batterie n'est plus un carcan. Elle n'étouffe rien. Elle fait la fête avec les autres instruments. C'est un bonheur. Les paroles elles-mêmes ne font que traduire le sentiment de bien-être qui émane de "Paradise", dans la veine de "When Am I Going To Make A Living", de "Cherry Pie", de "Sweetest Taboo" et de "Never As Good As The First Time" mais en plus optimiste et avec une plus grande sérénité car on est passé du stade de l'espérance à celui de l'accomplissement. Ce qui se répète dépasse toute insistance car rien ne retombe, on danse comme on plane. Non seulement la musique évite toute redondance mais en plus elle joue, elle s'amuse, comme avec le refrain de Leroy Osbourne qui se fait d'abord attendre puis revient dans le fameux contretemps en 2'24'' de "Nothing Can Come Between Us", avant de conclure entre boucles vocales lancinantes et guitare slapée.

Une page de nostalgie latine se tourne lentement quand "Haunt Me" nous invite au vague-à-l'âme de ses arpèges, avec sax, piano et violon en renfort, et Sade Adu qui double sa propre voix sublime en se faisant à la fois chanteuse et choriste. On parlerait presque d'un plaisir de la tristesse, une pause en fait avant un plaisir plus charnel, celui de "Turn My Back On You", hédoniste, très rythmé. Bizarrement, la batterie n'a jamais été aussi présente que sur ce morceau où la chanteuse se répète plus qu'ailleurs, mais là encore la musique passe toute seule car tout est une question de feeling: on a un motif, qui engendre un plaisir à la fois d'écoute et d'interprétation, au-delà même de toute logique de hit puisque l'intimisme l'emporte, en définitive, sur la lisibilité immédiate. Reste l'énergie sexuelle que la musique est capable de transmettre parfois, comme ici. Et au fond cet aspect, jusqu'alors plus discret chez Sade, dépasse ces quelques minutes de jouissance pour toucher l'album tout entier. C'est bien dans "Stronger Than Pride" que la sensualité musicale de Sade se révèle pleinement, comme allant avec une approche plus sereine de sa carrière et de sa vie. L'album "Love Deluxe" reprendra à son compte cette révélation. Pour l'instant, "Keep Looking" sonne comme une synthèse de "Turn My Back On You" et des autres titres, confirmant l'analyse précédente, ouvrant une deuxième partie d'album nécessitant une écoute plus attentive, plus obsessionnelle, pour bien en apprécier toutes les nuances, dans l'alternance des chansons plus douces ("Clean Heart" en 7, "I Never Thought I'd See The Day" en 9) et des rythmes plus relevés ("Give It Up" en 8, "Siempre Hay Esperanza" en 10). Ce final instrumental, magnifique, annonce "No Ordinary Love". Qu'est-ce qui est plus fort que la fierté? L'amour, bien sûr. Note: 9/10.

 

Chronique de l’album "Love Deluxe", 1992 (04/07/2011). Après l'album de la révélation, puis celui de la consécration, puis celui de l'introspection, voici venu celui de la sensualité. "Love Deluxe", c'est aussi les vacances du chroniqueur. Non que cet opus soit moins intéressant, moins abouti que les autres, bien au contraire. Mais sa place dans l'évolution discographique du groupe nécessite moins de développements philosophiques et musicologiques, moins d'explications. C'est beau, c'est même très beau, comme tout ce que fait Sade Adu de sa voix d'ange. Simplement, il s'enchaîne avec "Stronger Than Pride" d'une évidence et d'un naturel qui, à la limite, se passent de commentaires. Le titre "Turn My Back On You" scellait le destin de la chanteuse à celui de l'érotisme explicite et ce fut une réussite. Il lui fallait un prolongement, un album dédié. On peut y voir la raison d'être de "Love Deluxe". On peut également considérer, comme pour chacun des précédents, que "Love Deluxe" constitue en soi sa propre raison d'être, ce qui revient finalement au même.

L'enchaînement cohérent entre les albums de Sade a toujours existé. On l'a compris depuis "Promise", même avant on se doutait que ce serait le cas. C'est encore plus vrai à ce stade. "No Ordinary Love", la première chanson, présente, tant sur le plan du rythme et de la mélodie que sur celui de la couleur instrumentale, de troublantes similitudes avec "Siempre Hay Esperanza", l'instrumental qui concluait "Stronger Than Pride". Il faut donc déterminer ce qui différencie fondamentalement les deux albums. Comme "No Ordinary Love" est, de manière méritée, un des plus grands hits de Sade, la logique du hit va nous aider à y voir plus clair.

Qu'est-ce qu'un hit? C'est plus qu'une chanson à succès. D'un point de vue interne et potentiellement, c'est une chanson qui présente les caractéristiques requises pour rencontrer un large succès populaire, que ce dernier arrive ou non, et ce quel que soit le genre musical auquel le groupe se rattache. Ces qualités, spécifiques et potentiellement présentes dans d'autres types de chansons bien que dans une moindre mesure, se résument à la simplicité, à la répétition et à l'efficience. Si cette approche se révèle propre à la musique des années 80 calibrée pour les radios, à la limite tant mieux: Sade est un groupe né dans les années 80. Ce qui est remarquable avec eux, c'est qu'ils sont toujours arrivés, avec chaque album, à livrer des hits impeccables sans jamais sacrifier la sincérité à l'efficacité. Le hit, chez Sade, on a l'impression que c'est juste la cerise sur le gâteau. On se dit que, peu importe si les chansons ont bénéficié d'un passage à la radio ou non, elles sont belles et c'est tout ce qui compte, une autre manière de reconnaître que si on peut le plus, on peut le moins: si on peut mettre tout son cœur et toute son âme en chaque chose, on peut également rencontrer le succès. Cette conclusion idéale se heurte à l'improbabilité que lui oppose ce bas monde. Sade est un des rares groupes populaires à s'être élevé à ce degré d'idéal dans sa carrière artistique. C'est extraordinaire.

S'il ne devait rester qu'un hit sur "Love Deluxe", ce serait évidemment "No Ordinary Love", titre qui résume à lui seul l'état d'esprit de Sade, son rapport à la musique et l'importance du thème de l'amour dans son message. Ce titre pourrait être la mascotte de Sade, sa carte de visite. C'est le gros point fort de ce disque. Il se trouve que des hits, il y en a en fait quatre: "No Ordinary Love", "Feel No Pain", "Kiss Of Life" et "Cherish The Day". Les deux premiers se trouvent en début d'album, les deux autres s'enchaînent en deuxième partie. Structurellement, on a donc deux temps forts ("No Ordinary Love", "Feel No Pain"), puis deux temps plus intimes ("I Couldn't Love You More", "Like A Tatoo"), puis deux temps forts ("Kiss Of Life", "Cherish The Day"), puis deux temps plus intimes ("Pearls", "Bulletproof Soul"), puis la conclusion instrumentale ("Mermaid"). Alors que "Stronger Than Pride" présentait une première partie plus accessible, suivie d'une deuxième plus réservée, plus secrète, ici on a une respiration. Sans le dire, Sade renoue avec la logique battante de "Diamond Life", mais revisitée compte tenu du fruit de l'expérience de "Promise" puis de "Stronger Than Pride", moins jazz, plus planante. Une boucle est bouclée. "Love Deluxe" représente l'aboutissement de l'amour sous toutes ses formes: amour universel, amour sentimental, amour charnel, amour de la musique, amour.

Les dénominateurs communs à presque tous les morceaux de "Love Deluxe" concernent principalement les arrangements et l'interprétation: d'une part, importance accrue de la programmation des rythmes électroniques, longues nappes de synthétiseurs; d'autre part, cris de plaisir et soupirs, paroles murmurées du bout des lèvres comme pour nous caresser l'oreille. Tout nous ramène à la sensualité, une sensualité relaxante, agréable, vécue et assumée pleinement. Si on doit faire l'amour en écoutant Sade, c'est sur "Love Deluxe". De manière tout à fait inattendue, même "Feel No Pain", dont les paroles sont parmi les plus réalistes voire les plus politiques de toute la discographie de Sade, ayant trait au chômage, aux minorités marginalisées, aux personnes âgées qui écoutent le blues chez elles, même ce titre reste avant tout un titre sensuel dans son écriture musicale et dans sa réalisation. Au comble de la douceur, de la tristesse et de la compassion, ici compassion pour la misère somalienne, les "Alleluia" de "Pearls" créent le lien entre le thème de l'amour et celui de la foi dans le divin. "I Couldn't Love You More" et "Bulletproof Soul" nous offrent une synthèse entre l'hédonisme et la mélancolie. Même dans le plaisir, Sade n'oublie pas la douleur du monde, preuve supplémentaire de sa profondeur et de son authenticité. Il faut, enfin, prêter une attention particulière à la guitare acoustique emportant "Like A Tatoo": elle dessine déjà les lignes de ce qui deviendra la nostalgie Sade, celle des lointains "Lovers Rock" et "Soldier Of Love". Note: 9/10.

 

Chronique de l’album de Sade "Lovers Rock", 2000 (04/07/2011). De retour après huit ans d'absence en studio, Sade poursuit son évolution musicale en même temps qu'elle entre dans l'ère de sa propre nostalgie, coïncidant avec l'entrée dans le nouveau millénaire. Ses fans de la première heure, celles et ceux qui ont grandi en écoutant ses anciens succès, ont le bonheur de la retrouver avec "Lovers Rock", un album d'une douce tristesse où elle se montre fidèle à elle-même tout en dévoilant d'autres aspects de son talent. On a l'habitude de dire "elle" en parlant de Sade quand on se réfère à la chanteuse mais on n'aura jamais oublié, entre temps, que Sade est avant tout un groupe. Or, au niveau du groupe, dont la formation reste constante, une nouveauté notable oriente les perspectives de l'album vers des influences et des sonorités plus folk: Stuart Matthewman n'y joue plus du tout de saxophone, ce qui lui permet de mettre les guitares en avant, privilégiant les textures acoustiques de préférences aux textures électriques.

Autre particularité, qui rappelle "Love Deluxe" mais à un degré plus poussé, l'absence exceptionnelle de Martin Ditcham à la batterie et aux percussions correspond à une importance plus grande accordée aux rythmes électroniques et donc au travail de programmation d'Andrew Hale, lequel a vu son rôle renforcé au sein du groupe depuis l'album précédent. Entre une polarité folk et une autre électro, la nécessité d'une transition confère plus que jamais à la basse de Paul S Denman une fonctionnalité concertante, attachée à l'harmonie des timbres. La présence de Leroy Osbourne aux choeurs confirme "Lovers Rock" dans la continuité directe de "Stronger Than Pride" et de "Love Deluxe". On s'est encore éloigné d'un cran de l'influence jazz des deux premiers disques, comme le souligne le fait que, pour la première fois, il n'y a pas de long passage instrumental dédié. Des claviers supplémentaires, ceux de Janusz Podrazik, constituent de véritables trouvailles sonores, qui apportent à l'ensemble une couleur particulière.

Dans la structure de l'opus, les titres dub, "Slave Song" en 6 et "Lovers Rock" en 10, font office de ponctuation de par leur aspect à la fois atypique et habilement intégré, tandis que la première partie est marquée par les hits "By Your Side" et "King Of Sorrow", de superbes ballades qui entraînent "Flow", "Somebody Already Broke My Heart" et "All About Our Love" dans la création d'une atmosphère douce-amère, langoureuse et addictive. La tristesse elle-même est devenue érotique. Tout fusionne, au point où il est difficile de décrire la relation entre les morceaux en termes de temps forts et de temps faibles comme avec "Love Deluxe", qui était déjà très uni dans son déroulement et dans sa progression. "Flow" et "Somebody Already Broke My Heart" se révèlent également très accrocheurs dans le registre rythmé aux forts accents émotionnels caractérisant cette première partie.

La brièveté relative, moins de trois minutes, de "All About Love" et du "Sweetest Gift" les désignent comme des transitions autour de "Slave Song", pivot dont le traitement à la fois électronique et polyphonique des voix donne plus de force à l'expression des sentiments, comme un harmonica humain. "The Sweetest Gift" se rapproche également de "It's Only Love That Gets You Through" dans la mesure où la voix, seule avec un instrument, y fait l'économie d'une section rythmique. On est toujours dans l'émancipation mélodique initiée par "Stronger Than Pride". Par voie de conséquence, les titres les plus rythmés, eux, apparaissent incroyablement sensuels. "Every Word" et "Immigrant" se partagent le cœur de l'album, son paroxysme, son point culminant: beaux comme "Flow", forts comme "Slave Song". Le grand avantage d'une oeuvre aussi intimiste et personnelle que "Lovers Rock", c'est de pouvoir s'écouter longtemps avec le sentiment d'y faire toujours de nouvelles découvertes, ou simplement pour le plaisir de s'abandonner à son ambiance, dans la suspension du temps, là où chaque son résonne comme une caresse. N'était le live "Lovers Live" qui l'accompagne bientôt, Sade, en l'an 2000, nous offre de quoi patienter pendant dix ans. Note: 9/10.

 

Chronique de l’album de Sade "Soldier of love", 2010 (04/07/2011). Une décennie après "Lovers Rock", Sade fait de nouveau son retour et renoue ainsi avec la veine nostalgique de l'opus précédent. Les programmations électroniques y sont toujours présentes mais le retour du saxophone et de Martin Ditcham aux instruments rythmiques, Martin Ditcham leur complice de toujours, marquent un esprit de synthèse, une volonté de réintégrer à l'évolution musicale du groupe les éléments plus anciens qui avaient contribué à forger son identité par le passé.

L'album est dominé par le titre "Soldier Of Love" en 2, d'inspiration martiale, ascétique, paradoxale, résolument orientée vers le rythme, où la résistance pacifique et mélodieuse fait figure de combat au nom de l'amour, de la beauté, de la maîtrise de soi, à l'image de l'acte amoureux lui-même partagé entre lutte et tendresse. Sade se réapproprie les tambours militaires pour leur donner un autre sens que celui des champs de bataille habituels.

Il faut rapprocher cette chanson de "Bring Me Home" en 7, la plus rythmée et donc la plus susceptible de lui faire écho. Il s'agit simplement de réintroduire un temps fort dans un album plutôt orienté vers les ballades sentimentales, pop/soul avec des influences folk. Bien que sur un rythme plus lent, la section rythmique rejoint également le devant de la scène avec "Babyfather" en 4, dont la légèreté anecdotique et les accents heureux accueillent les voix de la relève, Ila Adu et Clay Matthewman, ainsi que "Skin" en 9, morceau de bravoure sensuelle et onirique.

Viennent ensuite les slows à proprement parler, slows avec batterie, qui constituent la substance charnelle de "Soldier Of Love": "The Moon And The Sky" en 1 et son leitmotiv entraînant pour donner le ton dans la douceur, "Long Hard Road" en 5 avec ses longs cris du cœur sur fond de guitare et de violons, "Be That Easy" en 6 partageant le plus fort des réminiscences country avec "In Another Time" en 8, lequel offre la particularité d'un bel accompagnement au saxophone de dernière minute. Mentionnons enfin deux titres qui tendent vers la pureté mélodique: "Morning Bird" en 3 et "The Safest Place" en 10. Note: 9/10.

 

D. H. T.

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