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Last Falls
19 octobre 2014

Chapitre 4: Articles politiques (2013)

Carton rouge contre Aube dorée (07/06/2013). Il n’y a pas d’exagération à qualifier Aube dorée d’organisation criminelle néonazie, au moins depuis que les membres de ce parti agressent physiquement les immigrés dans les rues d’Athènes: Philippins, Afghans, Bangladais, Somaliens, Guinéens, repérés par leurs agresseurs à leur couleur de peau. Les racistes violents opèrent en toute impunité, ce qui interroge sur le rôle de la police. Les forces de l’ordre acquiescent-elles délibérément ou bien sont-elles désœuvrées à ce point par la crise de leur pays qu’elles n’ont même plus les moyens de tenir tête à la criminalité qui sévit sous leurs yeux? Quelle que soit la position adoptée au sujet de l’immigration, tout partisan de l’État de droit se doit de condamner ces actes de brutalité infligés aux personnes, actes commis parfois jusqu’à ce que s’ensuive la mort de la victime. Toute la cruauté du mécanisme idéologique, dans ses débordements contraires aux principes de civilisation les plus élémentaires, s’exacerbe à travers ce type de mouvement lui-même nourri de misère et de paranoïa. La possible complicité d’une instance politique, celle qui laisse faire et décide de fermer les yeux, démontre encore, par l’extrême, le pouvoir de coercition inacceptable que la société s’acharne à exercer sur les individus, alors que la sécurité et le bien-être de chacune et de chacun, quelles qu’en soient les origines et le peuple d’appartenance, devraient constituer la finalité de tout projet collectif respectable. La désertion des élus et de leur bras armé va avec la montée en puissance des criminels de tous bords. Il en résulte un sentiment d’abandon subi et de désarroi profond, dans un monde qui a tout organisé pour que nul ne puisse plus se passer de son système global, tout en laissant la population livrée à elle-même, sans soutien ni recours, sauf quand il s’agit d’harceler, administrativement et financièrement, une citoyenneté déjà éprouvée par la pauvreté se généralisant et gagnant tous les jours du terrain. Dans la convergence des antiracismes, il faut revendiquer ouvertement le rejet catégorique des affrontements civils, oser affirmer qu’une pensée saine a pour devoir d’exclure les adeptes de l’innommable. Il en va de la vraie démocratie, celle qui ne sacrifie pas le particulier au général ni à la folie générale. Sources: Courrier International n°1179 du 6 au 12 juin 2013, page 26.

Affaire Clément Méric: rien ne change (14/06/2013). Certaines choses ne changeront donc jamais. À l'heure où le désenchantement politique institutionnel semble avoir atteint son point de non-retour, comme en témoigne, parmi d'autres, le gouvernement français soumis aux lobbyings du capitalisme financier sans tenir compte des intérêts ni des aspirations légitimes de la population, la conscience politique populaire, elle, reproduit de manière épisodique les divisions l'ayant affectée à plusieurs reprises déjà au cours des décennies précédentes. Ainsi les tendances antagonistes de la culture skinhead, opposant les ultranationalistes aux antifascistes, correspondent à une déclinaison de l'incapacité des couches populaires à organiser un front commun contre l'oppression élitiste, laquelle oppression prend elle-même en tenaille les électeurs de base en les exposant à la fois aux prérogatives libérales des plus privilégiés ainsi qu'au racket fiscal de la bureaucratie socialiste, le socialisme n'étant jamais que la contrepartie malsaine d'un libéralisme malsain. Incapable de contrer le pouvoir de nuisance du monstre bicéphale, incarné tantôt par les grandes entreprises et par les banques privées, tantôt par les administrations voraces d'un système social foncièrement nuisible aux individus, le peuple se révèle également incapable de surmonter ses propres divisions internes. Comme par le passé, il suffit d'une rencontre entre skins ennemis pour que la confrontation dégénère en violence, entraînant ici la mort dans l'un des deux camps, la mort de Clément Méric. Car la tradition délétère de la brutalité physique s'enracine au plus profond de l'histoire des couches défavorisées. Ce cercle vicieux, expliquant le goût de l'affrontement au corps à corps par l'indigence économique provoquant la ruine intellectuelle, l'ignorance de toute diplomatie et la recherche d'un exutoire quelconque, d'un défouloir primaire au nom d'une conception inepte de l'honneur, finit par incriminer les pauvres et les classes dites moyennes, lesquelles n'expriment jamais qu'une pauvreté moins grande, même si les pires coupables demeurent les dirigeants, puisqu'ils imposent les mauvaises décisions structurelles, dont les conséquences indirectes traduisent le désarroi général d'une humanité désespérante. Sources: Courrier International n°1180 du 13 au 19 juin 2013, page 31. 

Une parenthèse festive à Clisson (24/06/2013). En contrepoint à la violence tragique sévissant toujours ici et ailleurs, signe du malheur populaire, il est bon de rappeler parfois que de grandes manifestations placées sous l’égide de la culture, du partage, du plaisir et de la bonne humeur amènent régulièrement des milliers de personnes à se rencontrer dans une ambiance chaleureuse et respectueuse des différences. Qu’un festival de métal, le Hellfest, en apporte la confirmation chaque année, représente une chance pour l’Hexagone à plus d’un titre. Stimulant de l’économie locale, il contribue d’abord à entretenir le patrimoine que représente une commune médiévale telle que Clisson. C’est aussi, au même rang que le jazz et le rock, l’exemple typique de ce que les cultures anglophones ont apporté de meilleur à la France en termes de créativité musicale. Longtemps ignorés en ces contrées par les médias dominants, le métal et avant lui le hard-rock, mieux intégrés aux États-Unis dont l’industrie a eu l’intelligence d’en tirer profit sans en dénaturer le propos, se sont frayé un chemin au cœur de la vieille Europe, musiques extrêmes portées par la vitalité de leur public toujours au rendez-vous. Bien sûr, les cléricaux n’approuvent pas le contenu sataniste du message véhiculé par une minorité de groupes parmi les cent-cinquante présents à l’affiche, mais qu’ils se rassurent: ces activistes du son tiennent leur fief comme l’église tient le sien. Chacun à sa place, les mélanges de genres incompatibles n’entrent pas en compte dans le programme. Personne ne vient au Hellfest pour semer la discorde, et si cela devait se produire un jour, ce ne serait que sous l’effet d’un sabotage calculé. La violence du Hellfest est une violence ludique, un défouloir légitime car sans bourreau ni victime. Il suffit d’avoir pris part, chaussé de rangers, à un pogo enfiévré tel que celui auquel ont assisté les spectateurs des premiers rangs lors de la prestation des sudistes de Down, pour prendre toute la mesure d’une douce folie, d’un amusement convivial. Dans un autre état d’esprit, le grand public venu saluer Kiss ou Def Leppard a pu en profiter dans le calme. Et les valeurs sûres dans des registres variés, comme Testament, Agnostic Front, Skindred, Accept, ZZ Top, Finntroll, Manilla Road, Immortal, Prong, Napalm Death et tant d’autres, ont laissé toute leur place à des formations plus récentes et prometteuses, comme 7 Weeks, sans oublier les gloires françaises internationales Treponem Pal et Gojira. Sources: directes.

Glosinisation et alter-impérialisme américain (28/06/2013). La globalisation, en tant que processus de généralisation unilatérale des échanges mondiaux, se prête à différents regards, non seulement à cause de l’émergence de plusieurs grandes puissances, mais aussi parce que cette émergence est perçue par des acteurs et par des analystes développant leur propre interprétation, selon l’importance accordée de préférence à tel ou tel aspect de l’évolution décrite. Ainsi le consultant Charles-Édouard Bouée, lorsqu’il évoque la Chine, parle-t-il avec enthousiasme de l’apport confucéen aux modèles de management des entreprises, signe selon lui d’une empreinte chinoise, glosinisation dynamique et réactive, appelée à devenir de plus en plus visible partout, alors que le professeur Oliver Stünkel, lui, insiste plutôt sur le scepticisme ambiant quand on l’interroge à propos de l’influence de plus en plus importante que le Brésil tend à exercer dans d’autres pays. De là à penser que ces regards croisés sont réversibles, il n’y a qu’un pas, qu’il ne faut pas hésiter à franchir si l’on veut accéder à une vision plus complète et plus contrastée tant de la Chine que du Brésil. Le premier pays ambitionne de réaliser la quadrature du cercle, tendance dont ses partisans n’ont pas l’air de mesurer toutes les inconséquences, dans la mesure où l’urbanisation qui s’accélère s’accommode mal des intentions écologiques pourtant mises en avant dans un même projet pour lui-même et, la globalisation aidant, pour le monde. Le deuxième pays, mal vu en raison de la manière coloniale, pour ne pas dire esclavagiste, dont il traite les travailleurs en Guinée-Bissau et ailleurs en Afrique lusophone, pourrait dans le même temps se réclamer d’une influence culturelle spécifique sur les méthodes de gestion, susceptible d’affiner les techniques américaines au même titre que son concurrent l'Empire du milieu. Comment, dans un cas comme dans l’autre, ne pas voir les mêmes travers, aussi horribles soient-ils, et les mêmes qualités, aussi ténues soient-elles, puisque le bulldozer d’un pays dominant finit toujours par écraser les autres pays, peu importe son drapeau? Ceux qui se réjouissent de l’avènement d’un monde multilatéral oublient que la globalisation, d’où qu’elle vienne, s’effectue toujours dans un seul sens au service d’un seul groupe d’intérêts, et que sa mauvaise hégémonie a aussi de bons côtés, ce qui la rend d’autant plus redoutable. Sources: Chine Plus n°27, pages 32-33, et Courrier International Hors-Série n°45, pages 84-85.

Indonésie: pénurie de logements ou surpopulation (05/07/2013)? Les chiffres sont accablants: non seulement il manque 15 millions de logements en Indonésie, mais en plus il faut ajouter 900000 logements supplémentaires par an à cette demande, le taux moyen de croissance de la population étant, pour chaque année, de 1,5%. La doxa de la croissance continuant d’asséner le slogan du toujours plus, il faut comprendre que l’application de ce slogan à la productivité incite à un nombre d’habitants toujours plus important, car il n’y a pas de productivité sans producteurs ni consommateurs. La croissance économique dépend de la croissance démographique. De révolution industrielle en révolution industrielle, les adeptes de cette politique ont tellement œuvré à sa suprématie qu’elle persiste encore aujourd’hui dans l’opinion. Témoin le réflexe conditionné des journalistes qui pointent du doigt les méchants spéculateurs empêchant, par la flambée des prix et la recherche du profit, la construction des sacro-saints logements sociaux, que personne n’ose critiquer alors que ces derniers représentent la déchéance de l’architecture et de l’urbanisme, la détérioration de l’environnement naturel, de l’environnement urbain et de la qualité de vie des citadins, la négation de l’espace vital individuel et du bien-être auquel chacun est en droit d’aspirer. Lesdits spéculateurs de se justifier en arguant qu’ils contribueraient volontiers à l’intérêt général, si le gouvernement les y aidait par des mesures plus encourageantes. Gouverneurs et promoteurs ont beau entrer en conflit, tous s’accordent, du moins en théorie, sur la nécessité de loger les classes les plus défavorisées, dont l’expansion tend à devenir la principale caractéristique. Car si un économiste malthusien se risquait à dire que, au point où en sont les choses, il vaut mieux dépeupler que construire, il se heurterait à un tollé général. Et pourtant, même l’apparition graduelle d’une bulle immobilière, expliquant en partie l’écrasement des classes moyennes par la difficulté croissante d’accéder au statut de propriétaire, finit par peser moins lourd que la marée humaine, en Indonésie comme partout ailleurs. On se prend à rêver d’une Terre désurbanisée, d’un retour à la vie rurale et forestière, seul un nombre raisonnable et raisonné d’habitants rendant possible l’application des idéaux de solidarité et, a fortiori, de civisme écologique. Vivement la décroissance. Sources: Courrier International n°1183 du 4 au 10 juillet 2013, page 39.

Déchirures égyptiennes (12/07/2013). L'ébullition qui affecte certaines régions du monde est telle qu'il paraît toujours trop tôt pour en parler, ainsi du Moyen-Orient. Plus on est occidental, étranger à ce qui s'y passe, plus on devrait faire preuve de prudence et de réserve à cet égard, d'une sagesse sans compromission, avant de se hasarder à des diagnostics définitifs. Ceux qui se consacrent, des mois et des années durant, à une analyse des rapports entre les différents acteurs du monde arabe et israélien, alors qu'ils n'ont effectué que quelques brefs séjours en ces contrées, s'escrimant à fustiger maladroitement qui le sionisme, qui l'islam, ce de façon lourde et répétitive, attisant dans leur propre pays des conflits d'origine extérieure sans rapport direct avec la situation locale, feraient bien de ne pas oublier sous quels cieux ils vivent eux-mêmes, tous patriotes qu'ils prétendent être. Le doute s'insinue dans la méthode au détriment de la certitude. Ce qui transparaît de l'actualité égyptienne à ce stade de l'Histoire, ce sont les déchirures de l'opinion, de l'engagement idéologique, de l'appréhension du visage de l'avenir. Les Frères musulmans destitués par l'armée, d'aucuns y voient l'accomplissement d'un coup d'État appuyant la négation du processus démocratique, tandis que d'autres interprètent ce revirement comme l'affirmation d'une conscience étatiste profondément ancrée au sein du peuple égyptien. Déterminer qui a raison ou tort, pour autant que cette interrogation ait un sens dans un contexte en proie à la confusion, importerait moins, à premier abord, que l'étude attentive d'une symptomatologie susceptible d'ouvrir des perspectives de réflexion, de discussion, de définition des enjeux institutionnels de l'Égypte au sein d'un monde en crise. Bien sûr, il y a l'influence des États-Unis et du Qatar ainsi que le rejet partiel de cette influence, autant que le regard désabusé de certains Israéliens pour le moins islamosceptiques. Mais il y a plus que cela. Par le biais d'une dichotomie entre Islam et étatisme, se révèle toute la difficulté, pour les citoyens concernés au premier plan, de concevoir un schéma de pensée qui parviendrait à conjuguer l'héritage pertinent d'une tradition religieuse et la mise en place d'un gouvernement laïque, attaché à la résolution prioritaire de problèmes pratiques et vitaux. Vu le ras-le-bol populaire dans les pays les plus riches, aucune puissance au monde ne devrait donner des leçons de démocratie aux autres. Sources: Courrier International n°1184 du 11 au 17 juillet 2013, page 12.     

Pauvres classes moyennes (22/07/2013). Francis Fukuyama fait partie de ces politologues imprécis, qui ont tendance à surestimer les vertus des catégories préfabriquées par leur époque, sous l'influence de financiers vivant loin des populations qu'ils prétendent décrire. Habile rhétoricien au discours aussi creux que bien construit, ce chantre de la fin de l'Histoire, connu pour avoir célébré conjointement le libéralisme et la démocratie au lendemain de la Guerre Froide, ne retient aucune leçon des crises économiques et continue d'acclamer l’émergence, soi-disant, des classes moyennes en Turquie, avec la même naïveté apparente qui le pousse à se perdre en éloges lorsqu'il évoque le printemps arabe. De sa part, on a finalement droit aux commentaires que n'importe quel journaliste habitué à la soupe idéologique ambiante pourrait tenir à sa place. Lorsqu'il évoque les grandes révolutions historiques ayant marqué l'Europe pour les comparer aux mouvements de foules actuels, certes il a au moins le mérite d'admettre que de telles initiatives découlent toujours d'une impulsion liée à des intérêts supérieurs sans relation avec les aspirations des citoyens ordinaires et instrumentalisés, mais il ruine ce trait de lucidité lorsqu'il en vient, par un procédé soit grossier, soit malhonnête, à opérer un amalgame entre les dynasties de la bourgeoisie industrielle et ce qu'il appelle, dans un flou sémantique, les classes moyennes. Sa définition bancale de cette mouvance est doublement erronée, d'abord parce qu'elle aborde la richesse et la pauvreté d'un pays non pas en fonction des besoins individuels mais selon une moyenne, ensuite parce qu'elle souligne des objectifs présents à l'échelle du genre humain dans son ensemble: sécurité familiale, choix personnels, avenir professionnel. Sur un mode altruiste ou égoïste, tout le monde souhaite une vie meilleure, idée trop large pour cerner une spécificité quelconque. À ce travail de sape pseudo-économiste s'ajoute, toujours en phase avec le marketing global, l'engouement de circonstance en faveur de la niaiserie high-tech, acquise à la croyance irrationnelle selon laquelle une poignée de jeunes informaticiens peut suffire à motiver, Internet à l'appui, manifestations d'ampleur nationale et chutes de gouvernements fortement militarisés. L'impératif de croissance, arbitraire autant que destructeur, explique mieux, en définitive, les différences d'évolution politique selon les particularités locales d'une région du monde à l'autre. Sources: Courrier International n°1185 du 18 au 24 juillet 2013, pages 30-32.

Zimbabwe: après la réforme agraire (26/07/2013). Que se passe-t-il quand de riches propriétaires blancs se voient violemment mis à la porte d’un pays d’Afrique? Outre le fait qu’ils n’ont que ce qu’ils méritent, le bilan au bout d’une douzaine d’années serait finalement encourageant si l’on en croit l’exemple du Zimbabwe ainsi que le reportage de Lydia Polgreen consacré au sujet. Après le chômage et la famine aggravée par la sécheresse, l’économie rurale se ressaisit et les fermiers noirs éprouvent enfin la satisfaction de pouvoir vivre du fruit de leur terre, quittes à être moins productifs. Car mieux vaut produire moins mais produire pour soi-même. De nouveaux problèmes se posent alors, inhérents à toute responsabilité. Quand un élevage de bétail appartient à une famille locale, celle-ci doit prendre intégralement en charge toutes les contraintes que cette situation implique. Ainsi les enfants se privent-ils d’école de façon à ce qu’il y ait toujours quelqu’un sur place pour surveiller les animaux. De plus, le fait d’avoir un troupeau ne suffit pas à garantir la propriété des terres occupées. Il en résulte que les paysans ne disposent, en l’état, d’aucun argument les autorisant à solliciter les banques en vue d’un emprunt. C’est là qu’une filiale spécialisée du conglomérat Lifestyle Holdings intervient, proposant aux ruraux d’accueillir les bêtes en dépôt, en échange d’un certificat ayant valeur de garantie afin d’obtenir un prêt, ce qui aurait pour effet de solutionner les problèmes évoqués plus haut. La banque du bétail, de son côté, y trouverait son intérêt via l’amélioration de la race bovine par la sélection ou par l’insémination artificielle. Cette initiative, cependant, ne va pas sans soulever un certain nombre de questions. N’est-ce pas une entreprise isolée, encore au stade expérimental, limitée aux quelques centaines de têtes nourries à Featherstone, en attendant Gweru et Masvingo? Le président Mugabe, toujours en quête de réélection, espère-t-il vraiment légitimer l’ensemble de ses décisions politiques en s’appuyant sur ce seul cas de figure? Jusqu’à quel point le contentement apparent des fermiers concernés ne va-t-il pas se muer en déception, quand les intéressés s’apercevront qu’ils perdent de leur autonomie en acceptant la tenaille des trusts et des banques? Et surtout: pourquoi les autorités n’accordent-elles pas plutôt aux éleveurs un titre de propriété en bonne et due forme, ce qui leur permettrait d’ouvrir un compte sans aide extérieure? Sources: Courrier International n°1186 du 25 au 31 juillet 2013, page 36.

Mozambique: le charbon ruine le peuple (06/08/2013). Preuve supplémentaire que la globalisation des marchés, d'où qu'elle vienne, est toujours mauvaise quand un pays exploite les autres, et c'est malheureusement le constat qui s'impose partout à ce jour, le Mozambique subit l'emprise du Brésil sur ses ressources minières. Le plus grand gisement de charbon se trouve à Moatize, et bien sûr les multinationales brésiliennes, Vale do Rio Doce en tête, ont jeté leur grappin dessus sans aucune considération pour les engagements pris envers les ouvriers, ni pour les autres secteurs de l'économie du pays. La patte bien graissée par les patrons voyous, l'administrateur du district, à l'instar du président Guebuza, se contente de décrire le phénomène comme une fatalité, compte tenu du boom des ressources mondiales et des besoins énormes de régimes tels que l'Inde et la Chine qui, aveuglés par l'esprit de compétition gangrénant la planète, ne regardent que leur propre croissance. L'économiste Carlos Nunes Castel-Branco a démontré que la plupart des profits engendrés par les investissements étrangers, devenus hors de contrôle, ne profitent pas au Mozambique. Les effets de cette politique désastreuse se ressentent, comme toujours, à l'échelle de la vie quotidienne. Les paysans relocalisés contre leur gré pour les besoins de l'exploitation peinent à joindre les deux bouts. Les nouvelles terres fertiles promises en compensation se révèlent en fait stériles, sans compter les transports hors de prix empêchant d'aller quérir du travail en ville. Il faut saluer l'authentique résistance des mécontents, qui se rassemblent et disposent des obstacles sur les voies ferrées permettant l'acheminement du charbon, de façon à empêcher les sociétés d'atteindre leurs objectifs chiffrés. Ils ont raison d'exiger une meilleure rémunération, car leur condition actuelle s'apparente à de l'esclavage. Comme on pouvait s'y attendre, ce climat délétère ravive les tensions, fournissant des arguments à la guérilla du Renamo, laquelle menace de reprendre alors que la paix s'était installée pendant une décennie. Bref, loin de toute paranoïa et de toute interprétation complotiste, l'idée selon laquelle la recherche du profit au détriment de l'équité engendre la corruption, l'injustice, la misère et la guerre dans le monde, ne résulte pas d'une simple vue de l'esprit ni d'une projection idéologique pétrie de clichés. C'est bien une réalité criante, que même la Banque Mondiale n'ose plus contester. Sources: Courrier International n°1187-1189 du 1 au 21 août 2013, pages 10-13.

Le gaz sarin, épée de Damoclès (09/08/2013). Parfois la gouvernance mondiale détruit, parfois elle est bénéfique et nécessaire. Ceux qui l'encensent ou la rejettent systématiquement et inconditionnellement n'ont pas conscience du monde dans lequel on vit. Que l'on en juge. En 1995, des membres de la secte Aum répandent du gaz sarin, en fait un liquide volatile de la famille des neurotoxiques organophosphorés (NOP), dans le métro de Tokyo. Bilan: une douzaine de morts et plusieurs milliers de blessés. En 2002, lors d'une prise d'otages à Moscou, les forces de l'ordre sont tentées d'utiliser des agents incapacitants contre des rebelles tchétchènes. Sur les 850 personnes à sauver, 129 décèdent suite à ce traitement de choc. Entre temps, une convention internationale interdit totalement, en 1997, les armes chimiques mortelles. On en déduira déjà, au regard de ce qui s'est passé en Russie, que cette interdiction ne recouvre pas encore les substances potentiellement mortelles, puisque limitée à celles qui entraînent la mort avec certitude. Par ailleurs, cinq États n'ont pas signé ladite convention: l'Angola, la Corée du Nord, l'Égypte, le Soudan et la Syrie. Concernant cette dernière, la France, la Grande Bretagne et les États-Unis confirment de source officielle que, en mai 2013, l'État arabe en guerre a utilisé du gaz sarin sur son territoire contre les opposants au régime. Enfin, la Russie, toujours elle, mais aussi la Libye, le Japon et les États-Unis, n'ont pas encore détruit tous leurs stocks. En résumé, neuf pays sensibles, les uns plutôt à cause de la puissance militaire qu'ils incarnent, les autres plutôt en raison de leur instabilité politique, terreau privilégié du terrorisme, se révèlent encore en mesure de recourir à ce redoutable fléau. Pour les chercheurs scientifiques, l'enjeu consiste à essayer de faire en sorte que le gaz n'atteigne pas les neurones. Laboratoires américains, israéliens et français notamment privilégient crèmes protectrices, bio-réparateurs et réactivateurs de cholinestérase. À supposer que l'antidote absolu soit un jour mis au point, difficile d'envisager l'application massive du remède en cas d'urgence, quand on sait que l'ennemi biologique tue en une heure. D'un point de vue stratégique, comme signataires en voie de légalisation et non-signataires revendiquant leur illégalité n'appartiennent clairement pas au même bord, on suppose que les uns serviront de garde-fous aux autres, mais pour combien de temps? Sources: Science & Vie n°1151, août 2013, pages 94-99.

Hélas les arbres s'en vont, hélas les humains restent (16/08/2013). Trois biologistes, William Laurance, David Lindenmayer et Jerry Franklin, ont de bonnes raisons de penser que les grands arbres vont sans doute disparaître. Adieu eucalyptus Centurion d'Australie, adieu baobab africain, adieu séquoia californien. Menacés par la coupe, la sécheresse et la fragmentation, leurs territoires s'amenuisent de jour en jour. La faute aux activités humaines, industrielles ou agricoles intensives, causes du réchauffement climatique accentuant, avec la vulnérabilité accrue aux intempéries et aux lianes d'autant plus étouffantes que les forêts se réduisent, la mortalité des géants végétaux dont certains ont pourtant connu des bouleversements climatiques sur des centaines voire des milliers d'années. Même les savants les plus sceptiques face à un tel scénario macabre reconnaissent que les périodes de grande sécheresse peuvent, en quelques années, décimer des dizaines de millions d'individus, au premier rang desquels ces titans du règne vivant. Avec leur recul, c'est tout un pan de l'écosystème, individu en souffrance, qui disparaît aussi: champignons, insectes, plantes, oiseaux, mammifères. L'homme a déjà conduit à l'agonie les grands oiseaux, éléphants et cétacés. Il n'est donc pas improbable que la liste s'étende, hélas, à d'autres formes de vie, aussi majestueuses et nécessaires soient-elles. L'homo urbanicus, dans son arrogance et sa stupidité proverbiales, pour ne rien dire de son autodéification nombriliste, se persuade encore de représenter, au sommet de la chaîne alimentaire, le summum de l'adaptation à l'environnement. Le mal qu'il fait à la nature montre au contraire qu'il n'y a pas d'espèce moins en phase avec les autres que celle du bipède incendiaire et pollueur. Là où tous les animaux, à son exception, ont su évoluer en harmonie avec leur habitat premier, le conquérant de la Terre, lui, a besoin de transformer le monde sous peine d'extinction précoce. Et à force de le transformer, il se prive de ressources. Passerait encore si sa ruine ne regardait que lui, mais il entraîne dans sa chute tout ce qu'il y a de beau et de bon sur cette planète. Voué à une haine grandissante à l'encontre de son prochain, il ne se contente même pas de sévir à l'extérieur. Son inadaptation à la diversité, diversité pourtant garante de l'équilibre, s'étend jusqu'à lui-même, nuisible à soi comme à toute chose. Aussi longtemps qu'il restera une vermine grouillante, la vie d'un arbre petit ou grand vaudra mieux que la sienne. Sources: Science & Vie n°1151, août 2013, pages 74-81. 

La lente agonie amérindienne (25/08/2013). Le quotidien sordide des Indiens d'Amérique se résume désormais à des mobile-homes défectueux ou mal équipés contre les rigueurs de l'hiver, logements insalubres où cohabitent handicapés, personnes âgées, enfants en bas âge et travailleurs aux faibles revenus. S'ensuivent problèmes de santé persistants, sous-éducation, chômage, violence, phénomènes de gangs, drogue et alcoolisme, contre lesquels la police en sous-effectif ne peut pratiquement rien alors que, autre fait absurde, les employés administratifs du gouvernement sont légion sur les territoires indiens, où ils ne servent à rien sinon à empêcher le développement du secteur privé au profit des populations. Les coupes budgétaires assénées par le gouvernement fédéral touchent la plupart des tribus, à l'exception rare des familles possédant un casino. Les pertes à l'échelle d'une communauté se chiffrent en millions de dollars. En assujettissant les peuples concernés à l'obligation du sequester, qui a vu Obama s'engager sur la voie de l'amputation du budget national à hauteur de dizaines de milliards de dollars dans un premier temps, le pouvoir central oublie sa dette, pourtant établie juridiquement, envers les nations ayant fait l'objet d'un traité leur garantissant une aide de l'État, un État qui ne tient pas ses promesses. Les États-Unis se sont construits sur un génocide. Loin de vouloir réparer cette faute historique, ils persistent sur la voie du massacre, non plus par la brutalité physique, les viols et les exactions comme ce fut le cas par le passé, mais par des moyens plus hypocrites, ceux de la modernité, consistant à couper les vivres des plus indigents, dont la pauvreté découle d'une longue série d'injustices inhérentes à toute entreprise coloniale. Les tartuffes européens, habitués à faire semblant de critiquer leur allié tout en s'alignant sur ses stratégies, rejetteront toute la responsabilité de cette extinction culturelle sur les méchants Américains, oubliant que les Américains de type caucasien sont avant tout des Européens dont les hauts faits d'armes ont consisté à traverser l'Atlantique pour répandre le sang sur un continent qu'ils se sont approprié indûment, à grand renfort de traite négrière, esclavagisme sans lequel l'Occident n'aurait jamais pu entrer dans l'ère du soi disant progrès industriel. Même certains ethnologues, l'esprit gangréné par le racisme dominant, nient l'identité ethnique des peuples minoritaires pour célébrer le culte planétaire de l'homme blanc. Sources: Courrier International n°1190 du 22 au 28 août 2013, pages 16-17.

D'une Arabie à l'autre, aux frontières de l'ingérence (02/09/2013). On a vu un Obama hésitant face à la question syrienne, et un Hollande plus entreprenant que de raison sur ce même dossier. Cet étrange renversement de situation, étrange car d'habitude, dans le contexte de l'après-Guerre Froide, ce sont les États-Unis et non la France qui reçoivent le reproche d'avoir la gâchette facile, ce renversement donc s'explique par les mécanismes propres à la surenchère conjoncturelle. Le président américain fait face à une opinion publique d'autant plus lasse des affrontements extérieurs que la situation intérieure se dégrade. Le chef d'État français, lui, se voit toujours pris dans l'élan qui l'avait poussé à envoyer des soldats au Mali, aussi, dans son raisonnement, aurait-il éprouvé un certain embarras à s'engager dans ce sens s'il n'avait pas, consécutivement, décidé aussi de voler au secours des populations civiles en Syrie, présentées comme victimes du régime de Bachar El-Assad. Non que la Maison-Blanche aille pour autant redoubler de zèle dans le redressement de la situation économique de son propre pays, pas plus que l'Élysée n'avait bonne presse s'agissant de politique pour l'emploi. Mais les leaders occidentaux tiennent à soigner leur image, peu importe la décision prise en fonction de l'impératif communicationnel du moment. Pendant ce temps, à Tel-Aviv, on ne manque pas de rappeler la barbarie caractérisant, du point de vue israélien, les voisins de l'État hébreux. Netanyahou apparaîtrait moins méprisable par comparaison avec une guerre civile qui aurait fait plus de victimes qu'en cent ans de conflit entre Juifs et Palestiniens. Même une partie des commentateurs arabes fustigent les dictatures tenaces du Moyen-Orient, au Caire comme à Damas. Et les analystes qui, dans la lignée du président libanais Michel Sleimane, expliquent tous les malheurs de cette région du monde par les seuls colons d'Israël, voient leur pouvoir de conviction s'effriter. Outre la violence de toute façon condamnable, d'où quelle vienne, le fait qu'un consensus global peine à émerger ne constitue pas, en soi, un motif rédhibitoire. Paradoxalement, il démontre que le monde arabe n'a pas toujours besoin d'un apport étranger, ami ou ennemi, pour alimenter le débat, à l'instar des femmes Sahraouies militant, au Maroc, pour l'indépendance du Sahara-Occidental. Seul un hyper-État mondial, légal et officiel, règlerait une bonne fois pour toutes la question épineuse de l'ingérence. Sources: Courrier International n°1191 du 29 août au 4 septembre 2013, pages 16-21.

Berlusconi, symbole du chantage politique (06/09/2013). Au-delà du cas Silvio Berlusconi, de l'anomalie politique à la pointe d'un climat de déréliction généralisée, vainqueur à tous les championnats de l'affairisme et de la longévité indigeste, le Cavaliere pourrait devenir aussi, à lui seul, le symbole d'une époque de chantage politique. L'ancien président du Conseil, condamné pour fraude fiscale, demande sa relaxe sous peine de retirer son parti de la coalition gouvernementale, ce qui aurait pour effet de fragiliser une Italie déjà éprouvée dans son incertitude politique et économique, de la reléguer à la marge de l'Union Européenne ou, à terme, de l'en exclure. Voilà certes la manifestation d'une mentalité mafieuse, dans le dessein de rendre un mal indispensable en agitant la crainte de voir surgir un mal encore plus grand. Mais si la résignation pouvait jouer en faveur d'une telle résistance aux attaques de la justice, la lucidité du peuple face à l'enracinement des pratiques contraires à l'État de droit ne fournirait pas la seule explication de cette issue. Tout d'abord, le coupable désigné ne dispose, selon toute probabilité raisonnable, que d'une espérance de vie inférieure à la durée de sa carrière politique considérée dans sa globalité. Ensuite, il ne purgerait qu'une peine de prison onirique, temporairement assigné à résidence dans l'une de ses propriétés luxueuses. Enfin, à quoi bon s'acharner tardivement sur lui depuis le temps qu'il sévit, alors que, au fond, bien que plus discrets et plus raisonnables en apparence pour une partie d'entre eux, ses adversaires politiques ne valent pas mieux que lui? Quand il sera mort, les plus réfractaires réaliseront, à l'évidence, toute l'ampleur de leurs problèmes persistants malgré la perte de cet ennemi haut en couleur. Le plus triste, c'est que la disparition éventuelle d'un Berlusconi ou de tout autre oligarque de son acabit ne résoudrait rien, si l'on ne réformait pas tout le système politique pour tuer dans l'œuf la résurgence de cette figure abusive et scandaleuse qui, en vertu des propriétés recréatrices de l'Histoire, ne se résume jamais à une personnalité donnée, aussi grand soit son pouvoir de nuisance. Le symbole va encore plus loin. Le sens tragique, à l'horizon des prochaines décennies de ce siècle, incite l'opinion soit à prendre position de manière tranchée entre tel ou tel parti pour un gain dérisoire, soit à laisser faire, de guerre lasse. Dans un cas comme dans l'autre, la mafia gagne toujours. C'est cela, le chantage. Sources: Courrier International n°1192 du 5 au 11 septembre 2013, pages 16-17. 

De Venezuela en Transdniestrie (18/09/2013). En assumant l'inconfort d'une optique réaliste, on se rend vite compte que, pour faire valoir une volte-face protectionniste dans le monde actuel, il faut peser de tout son poids sur l'échiquier international. Ce n'est pas pour rien que les États-Unis, pionniers de l'export mondial, se situent aussi à la pointe du protectionnisme, avec pour horizon idéal, idéal de leur seul point de vue, la posture du marchand royal qui vend tout aux autres sans jamais rien leur acheter. Ainsi déchantent les pro-Chavez les plus lucides. Les autres, induits en erreur jusqu'au point de non-retour, continueront d'applaudir leur idole au-delà de la mort, sans même jamais avoir envisagé l'hypothèse machiavélique selon laquelle un meneur de foules, dans certains cas, ne tient tête à l'élite financière que pour asseoir sa propre réputation et non pour servir les intérêts du peuple qu'il prétend défendre, signes visibles d'une guerre en trompe-l'œil pourtant vieille comme le monde. Dans un premier temps, le Latin au sang chaud nationalise l'agriculture de son pays. Dans un deuxième temps, il rend l'âme, paix à lui. Dans un troisième temps, le même pays, confronté aux pénuries liées à la baisse de production, importe plus que jamais le riz et d'autres denrées de son ennemi juré, l'impérialisme américain. À qui profite alors la politique socialiste? Certes pas aux paysans vénézuéliens, mais à Steve Orlicek, un riziculteur de l'Arkansas qui, compassionnel au demeurant, plaint ses homologues malchanceux. Simultanément et sans rapport direct, à plus de neuf mille six-cents kilomètres de distance, la région sécessionniste située à l'est de la Moldavie menace, au nom du soviet suprême, de durcir ses frontières, sur quoi Chisinau rend à Tiraspol sa politesse, avec un arrière-goût de rideau de fer. Le premier camp, aux frontières non reconnues par la communauté internationale, pourrait voir remis en cause son partenariat commercial privilégié avec la Roumanie, à mesure que le second camp, officiel, progresse dans ses accords avec la Communauté Européenne. Quel point commun y a-t-il entre ces deux situations géographiquement éloignées? L'une représente l'avenir de l'autre, un avenir probable autant qu'incertain, comme une erreur qui se vérifie toujours, sentiment ambigu d'un effort louable mais sans débouché, de Venezuela en Transdniestrie comme de Charybde en Scylla. Sources: Courrier International n°1193 du 12 au 18 septembre 2013, pages 30 et 40-41.

La conquête spatiale ne sert à rien (29/09/2013). Le chaînon manquant par excellence entre la conquête spatiale et sa dimension politique, ce sont les motivations à l'origine du projet. Par celles-ci vient la compréhension et des formidables moyens déployés sur le long terme pour mener à bien cette folle entreprise, et de toute la vanité dont ils s'imprègnent. Dans les années 1960, Kennedy n'y croyait pas lui-même. Mais comme les Russes voulaient envoyer des hommes dans l'espace, il se vit obligé de rentrer lui aussi dans la course, avec le programme Apollo, pour ne pas perdre la face du monde. Depuis lors, la surenchère compétitive entre États continue, davantage freinée par le coût exorbitant des voyages extraterrestres que par un raisonnable renoncement, la Chine du président Hu Jintao venant renforcer le peloton de tête aux côtés de la Russie et des États-Unis. Les Américains, pourtant en perte de vitesse, se rêvent toujours pionniers. Poutine, lui, pense à la fierté de sa nation. Les grandes puissances émergentes, comme à leur habitude, suivent le mouvement initié par les deux protagonistes précédents. Comme d'autres chercheurs, Isabelle Sourbès-Verger du CNRS reconnaît volontiers la désuétude des missions spatiales habitées face à l'engouement suscité par les nanotechnologies. Seuls les militaires trouvent encore un intérêt concret, lié à la maîtrise stratégique et technique du nucléaire, dans l'occupation du ciel par les hommes. Il est vrai aussi que, sur le plan de l'information et du guidage notamment, les satellites offrent des applications dont le grand public se sert tous les jours. Mais ces technologies spécifiques ne nécessitent pas d'envoyer des missions sur d'autres planètes. Pas besoin de citer Mars, la seule perspective d'un retour sur la Lune se chiffrant déjà en dizaines de milliards de dollars. En fait, via sa suprématie dans l'espace, l'hyperpuissance atlantiste se convainc encore de préserver du même coup sa suprématie sur Terre. Vue du ciel, la planète bleue reste une cible de choix, surtout les territoires hostiles, au prix d'un investissement annuel de 25 milliards de dollars. Ce qui demeure plus difficile à chiffrer, c'est l'apport de cette persistance à l'économie. Certes les satellites paient, mais pas l'utopie d'une vie martienne, qui aveugle pourtant jusqu'aux Japonais ou aux Européens. Des modules se posent sur Titan. Et alors? Au ras du sol terrestre, la misère humaine continue de proliférer. Le délire expansionniste a toujours ignoré le sens des vraies priorités. Sources: Science & Vie Hors Série n°264, septembre 2013, pages 104-111.

Réactions tardives et diverses (10/10/2013). Le monde va de plus en plus vite mais les bonnes mesures arrivent toujours en retard, encore freinées par l'incertitude d'aboutir après avoir subi tous les atermoiements. Non sans honnêteté, Newsweek rappelle que, du temps de leurs mandats respectifs, Bush père et Clinton n'étaient pas intervenus, le premier contre les massacres en Irak, le second contre le génocide au Rwanda. Prophètes mal inspirés du libéralisme international à géométrie variable, les États-Unis mettent du temps à accomplir leur déclin. Confusément, on perçoit que la Syrie ne sera pas leur ultime échec. D'aucuns verront alors, à l'aune de la politique intérieure, la légalisation progressive du cannabis depuis le Colorado et Washington comme un signe de décadence. Pourtant, cette tendance pourrait s'affirmer porteuse de bonnes nouvelles, au détriment d'une hypocrisie qui a fait le jeu des réseaux mafieux. Car le contrôle accru des autorités officielles sur le marché se traduit en principe par un recul de la criminalité dans le secteur concerné. Qui envisagerait sérieusement, aujourd'hui, de rétablir la prohibition de l'alcool, alors que ce dernier, selon les doses consommées, produit parfois plus de dégâts que certaines drogues? La lutte contre la criminalité se déplacera sur d'autres terrains, et avec elle la corruption et les bavures. La santé publique repose sur des conditions complexes qui correspondent à tout un contexte civilisationnel requérant l'encadrement, la vigilance et la responsabilité des citoyens et des professionnels. On prendra d'autant mieux la mesure de problèmes intrinsèquement plus dramatiques, intrinsèquement car provoqués non tant par une série de défaillances du système que par des fautes identifiées, à l'instar de leurs auteurs conscients et déterminés. Point d'interrogation, en date du 20 septembre 2013, sur les intentions des deux policiers français qui n'auraient lancé aucune alerte alors que deux jeunes trouvaient la mort dans un transformateur électrique, ce qui déchaîna les émeutes de Clichy-sous-Bois en 2005. Le fait que lesdits policiers aient été renvoyés en correctionnelle par décision de cour d'appel montre qu'il y a peut-être encore une justice, cette même justice traînante qui, en Grèce, se décide enfin à sévir contre Aube Dorée. Sources: Courrier International n°1194 du 19 au 25 septembre 2013, pages 27-28; n°1195 du 26 septembre au 2 octobre 2013, pages 35-36; n°1196 du 3 au 9 octobre 2013, pages 7 et 23. 

 

L'ère de la grande fragilité (20/10/2013). Nassim Taleb, universitaire libanais enseignant à New York, spécialiste de l'aléatoire dans la finance et auteur de la trilogie composée des ouvrages "Le Hasard sauvage", "Le Cygne noir" et "Antifragile", avait alerté l'opinion sur la probabilité de la crise des subprimes en 2007. Nulle magie dans cette clairvoyance, juste une pertinente analyse des risques par rapport à un état des lieux. Parmi les économistes et les managers, les tenants de la doxa se sont trompés, sauf si leurs intentions visaient précisément à enrichir les grands gagnants de la crise, c'est à dire les banquiers. La stratégie aurait alors parfaitement fonctionné. Dans un premier temps, on prête massivement aux foyers les plus modestes, incapables de rembourser leurs dettes. Dans un deuxième temps, l'ensemble des contribuables paie les pots cassés. Dans un troisième temps, le recours à la planche à billets entraîne une hausse des prix dans les secteurs de la finance et de l'immobilier, profitant aux plus riches. Voilà qui ressemble à un scénario habilement orchestré. Dès lors, le doute s'insinue de part et d'autre. Doit-on dénoncer une incompétence ou blâmer une escroquerie? La difficulté de la question tient aux éléments qui rendent les deux termes exclusifs l'un de l'autre. Certes il existe des incapables malhonnêtes, mais l'enrichissement vénal au profit d'une minorité d'acteurs atteste, à leur niveau, une indéniable efficience. Question de point de vue. Inaptes à bien gérer le monde alors qu'ils en détiennent le pouvoir, en revanche ils font preuve d'un grand talent une fois ramenés à leur propre portefeuille. Les crises engendrent les crises, ainsi va l'ère de la grande fragilité. Antifragiles, ceux qui se nourrissent de leurs échecs pour devenir plus résistants dans les petites structures, plus réactives, de préférence aux grandes, plus sclérosées. Ainsi l'auteur se réapproprie-t-il l'idée bien connue selon laquelle ce qui ne tue pas rend plus fort, fluctuat nec mergitur. Le confort d'un noyau privilégié ne peut perdurer en s'appuyant sur l'exposition permanente au risque du plus gros de la population. Mais, au fond, la fragilité de l'époque, c'est plus que cela. L'information trop théorique gagne la bonne foi comme la mauvaise. Chaque camp recèle son lot de dupes et autant de vipères agissant de concert. À trop pointer les uns ou les autres, on sert les intérêts de l'ennemi. Sources: L'Expansion n°788, octobre 2013, pages 36-40.

 

Managers de transition (26/10/2013). Nul n'aura du mal à se représenter les difficultés financières inaugurant le troisième millénaire. Elles sont le produit de la décision consciente de certains, et le lot commun de la plupart. Les interrogations qu'elles suscitent au sein du monde de l'entreprise engagent la réflexion à un stade moins évident et moins ressassé du débat. La banalisation même du concept de crise, qui revient comme un leitmotiv ici et ailleurs, au point où le terme mériterait de devenir signe de ponctuation autant que la virgule, cette banalisation amène chercheurs et décideurs à envisager toute situation critique comme un objet de spécialisation entraînant le développement de compétences ad hoc. Les managers de transition seraient à l'entreprenariat en perte de vitesse ce que pompiers et secouristes sont aux immeubles incendiés. La tentation de réinventer le management suit de près l'émergence de ces métiers plus que voués à l'instant car voués à l'instant qui se dérègle, selon tout l'éventail des recettes proposées depuis, tout au plus, quelques décennies: formation externe  en phase avec la culture de la boîte, savoir-faire basé sur la demande, professionnalisation accrue de l'utilisation des logiciels bureautiques, synergie des gestions en RH, enseignement par la pratique, géolocalisation des prestations pour gagner du temps avec les transports. La critique, elle, raille plutôt un dispositif de recyclage destiné à occuper les seniors jusqu'à la retraite. Aux jeunes la stabilité relative du management classique, aux anciens l'instabilité absolue du management de transition. Le faux débat tient, comme toujours, au fait que les deux argumentations se complètent plus qu'elles ne s'opposent. Ensemble, elles décrivent une évolution qui ne fait qu'exploiter, en l'amplifiant, l'essence même de toute activité managériale soit, reformulée, le passage de la planification gestionnaire à l'improvisation dans l'urgence. À l'échelle de la vie en général et du travail en particulier, qu'est-ce qu'improviser? Quel point commun y a-t-il entre un cadre mal à l'aise en train de se débattre, un sportif de l'extrême, un musicien de jazz et un pervers polymorphe freudien? Tous s'attachent, en temps réel, à remplacer le matériau prescrit mais absent par son équivalent le plus proche ou par ce qui, au prix d'un effort d'adaptation plus ou moins important, pourrait faire l'affaire. L'intelligence économique, voilà ce que le management aurait toujours dû incarner face aux excès de son propre académisme. Sources: Informations Entreprise n°150, octobre-décembre 2013, pages 34-47.

La nostalgie de l'avenir (31/10/2013). Avant de partir pour la guerre, le soldat américain ignorait-il qu'il ne reverrait pas la femme qu'il aimait ou, du moins, que leur histoire se terminerait avec ce départ? Il avait un avenir, son amour avec elle, dont il ne gardera plus que la nostalgie. Le cinéma raconte encore cette déception, car lui-même tend à se projeter à l'époque où l'on croyait encore en de meilleurs temps futurs, le lendemain de la seconde guerre mondiale. Cet art, noyé dans la masse des superproductions en déclin, a gardé le lien avec la veine contemplative des chefs d'oeuvre du passé. Jusque dans la dissonance, sa bande-son fait rêver quand elle se noie dans la lumière floue absorbant l'horizon pendant la traversée de l'Océan. L'alcool, certains l'imagineront, d'autres le boiront en regardant le film. Puis, à mesure que s'impose, face à l'individu endurci et indiscipliné une fois sorti des rangs militaires, la figure du gourou caractériel en prise avec ses propres incohérences, deux rythmes s'affrontent. Le premier se trahit à travers les gestes saccadés du personnage principal, à la fois héros et antihéros. Le deuxième substitue à la discipline martiale une rigueur civile absurde et aliénante, toutefois recherchée car le protagoniste déclassé ressent lui-même le besoin de surmonter les excès de son impulsivité, ses colères incontrôlables, sa violence dramatique, par n'importe quel moyen et non sans humour. Il sait se retenir de pleurer devant un thérapeute qui l'interroge sur ses traumatismes, mais il ne sait pas retenir les coups, il cherche les ennuis et, comme il préfère l'étincelle aux incendies, il s'enfuit face à la riposte, désarmé sans son fusil. Donc il se soigne. Le chef de secte était un ami, qui veut devenir son tuteur et se persuade, au fil du temps, que son entreprise se couronne de succès. L'instant de la publication de ses recherches mystiques correspond à celui où son disciple présumé semble arriver au terme de sa guérison, cognant une dernière fois un adversaire mal inspiré, en guise de chant du cygne, d'adieu aux armes. Puis, il prend une moto et disparaît dans le désert, dans la nature, sous les yeux perdus de son ancienne famille d'accueil, car le directeur de conscience a embrigadé femme et enfants. Quant au déserteur imagé, ce dernier n'a jamais été son fils. Les deux ennemis se revoient une dernière fois en Angleterre. Il n'y a plus de hiérarchie qui tienne dans les rapports personnels. Le travailleur ne sert pas un maître, il fournit un effort contre un salaire, le salaire de la mort différée. Sources: "The Master", film, Paul Thomas Anderson, 2013.

 

D. H. T.

http://www.dh-terence.com

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