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Last Falls
19 octobre 2014

Chapitre 1: Antisocialisme (2005-2014)

L'internationale antisocialiste (IAS) est un groupe de réflexion politique situé à gauche. Il propose une critique du socialisme selon deux axes: le socialisme ne défend pas l'État; le socialisme porte atteinte aux droits individuels. L'antisocialisme préconise un État fort pour garantir les droits individuels contre la société. Son champ d'application recoupe tous les aspects de la vie collective: civilisation, politique, droit, économie, écologie, démographie et vie privée.

Civilisation: placer l'individu au cœur du projet de civilisation, instaurer un État fort pour garantir les droits de chaque individu sur sa propre vie (charte des droits individuels aux fondements de la constitution).

Politique: mettre en place une démocratie directe et décentralisée, tout en reconnaissant l'autorité de l'État dans le maintien de l'ordre territorial (parlements régionaux et consultation référendaire sur les questions publiques).

Droit: renforcer le pouvoir de la défense et de la justice afin d'assurer la protection de chaque citoyen dans le respect d'autrui (optimisation des moyens et effectifs: armée, police, tribunaux, prisons).

Économie: garantir les services publics d'intérêt général, imposer des limites aux grandes entreprises, aider les petites entreprises à se développer (nationalisations, primat de l'État sur les marchés, politique de plein emploi).

Écologie: rendre sa priorité au respect de l'environnement, faire de la préservation et de la gestion des ressources une priorité (fin de la déforestation et de l'urbanisation, regain des zones rurales).

Démographie: stabiliser ou réduire la population selon les besoins, à l'aide d'un contrôle scientifique du rapport ressources disponibles / nombre d'habitants (régulation obligatoire des naissances, abolition des retraites).

Vie privée: restituer à chaque individu la souveraineté pleine et entière sur sa propre vie, y compris dans le choix de sa mort (avortement, stérilisation, euthanasie, suicide, port d'arme, peine de mort).

Rappel: ce groupe théorique n'accueillera en fait aucun membre (du moins pas du vivant de l’auteur de ces lignes, idéologues et militants ayant des fonctions à la fois trop proches et trop dissemblables, et probablement pas après la mort de l’auteur susdit, sauf évolution improbable du genre humain), car ces pages ont "pour objectif, loin de la constitution d'un véritable groupe, tout au plus l'éveil d'une communauté de pensée entre lecteurs solitaires qui ne se connaîtraient pas nécessairement mais qui partageraient certaines idées".

À noter aussi que la seule mention du suicide dans le paragraphe consacré à la vie privée ne constitue en aucun cas une incitation au suicide. Elle s'inscrit dans le débat légal autour du droit à la mort. Toute incitation au suicide est condamnable sans appel.

 

L’antisocialisme de gauche, gauche néphilim ou gauche gothique, considère l’individu comme sacré, souverain sur sa propre vie et sur sa propre mort. Il appelle de tous ses vœux la réhabilitation de la culture de la mort, afin d’équilibrer la culture de la vie: avortement, stérilisation, euthanasie, droit au suicide sans incitation au suicide, rétablissement de la peine de mort sous certaines conditions.

Parmi ces conditions, en voici une. Le bien se définissant par la civilisation du droit qui protège les individus, la mafia, en tant que banalisation du crime en réseau, apparaît comme une grave atteinte à cette civilisation et donc comme une des formes du mal qu’il s’agit d’éradiquer en priorité.

Mais la sacralisation de l’individu dépasse l’être humain. La nature sacrée mérite elle aussi ce statut. Elle souffre de l’humanité surpeuplée. L’antisocialisme se définit donc comme une écologie radicale, visant à réguler la démographie planétaire. Il se fixe comme horizon tant la préservation de l’écosystème que le partage équitable des richesses.

La liberté de chacun reposerait sur les bases d’une éthique de respect mutuel, garantie par un État volontaire. Il ne faut pas se résigner au mal, mais au contraire le combattre avec des armes légales, quitte à recourir, en dernière instance, à la violence des forces de l’ordre. De par l’équilibre retrouvé entre la vie et la mort, les adeptes de cette pensée entendraient changer le monde pour le rendre meilleur.

Il existe un problème plus grand que le capitalisme: la perversion du capitalisme. D’où l’urgence d’en finir avec les mafias, mais aussi avec les paradis fiscaux et la mainmise des multinationales sur les nations. Seul le retour de l’interventionnisme autoritaire combattrait efficacement la criminalité financière.

Aucun des politiques en proie à la complaisance mafieuse ne fait rien pour enrayer le désastre, dont ils partagent tous la responsabilité avec les décideurs de la finance mondiale. Les notables nationaux et locaux, organisés en réseau d’influence, s’en rendent complices. Le crime a bénéficié de la mondialisation, mais pas la démocratie légitime, celle qui considère que chacun a son mot à dire sur le destin du monde. Les politiciens corrompus méritent la peine de mort.

L’opacité dans les affaires publiques trahit l’un des aspects du système mafieux. Les analyses officielles conduisent à l’aveuglement quand elles appuient la position des gouvernements atteints par la corruption. Les entités bureaucratiques absurdes entérinant l’oppression des populations, elles-mêmes gangrénées par les trafics, aggravent cette situation.

La misère se généralise à l’ouest, à l’est, au nord et au sud, tout comme l’immaturité et l’irresponsabilité des dirigeants. L’instabilité géopolitique globale augmente. Les peuples, abandonnés à eux-mêmes, connaissent de plus en plus de conflits sanglants avec leurs voisins, pendant que les élites amassent des milliards. Les monarques apprennent à partager le pouvoir ou s’entredéchirent tels des vautours.

La démographie, hors de contrôle, poursuit ses ravages, au nom d’une idéologie de la croissance défendue bec et ongles, pendant que la recherche technologique se fourvoie plus que jamais dans le productivisme inutile, aux dépends de l’environnement. Le refus irrationnel de la mort multiplie le nombre de personnes âgées malades et d’enfants affamés, avec la prospérité du sida et des génocides.

La situation de demain s’annonce semblable à celle d’aujourd’hui, avec un fossé encore plus grand entre riches et pauvres. Le malheur des peuples rassure le pouvoir en place. Même après la disparition d’une ressource, les belligérants continuent de se battre, car la guerre offensive a tout d’un cercle vicieux. Elle trouve d’autres régions à mettre à feu et à sang.

Le terrorisme, mis en place par les élites, sévit encore et toujours. Il sert d’alibi et de bonne conscience aux luttes armées, permettant aux mafias de bénéficier d’une diversion et d’œuvrer au triomphe des paradis fiscaux au détriment de l’économie mondiale. Les médias officiels en rejettent la faute sur les seuls terroristes, tout en affichant leur fatalisme à l’égard des problèmes économiques mondiaux.

Qu’au sein de cette souffrance, chacun puisse au moins choisir l’heure de sa mort sans avoir à s’en justifier. La vie d’une personne n’appartient qu’à elle-même. Chacun doit rester souverain de sa propre vie. Politiques et médecins n’ont qu’à s’incliner, dégagés de toute responsabilité sur les questions privées. Halte au danger des suicides commis sans assistance. Mettre la médecine au service du suicide, sans inciter au suicide, reviendrait à aider celles et ceux qui le souhaitent à partir dans de bonnes conditions.

 

Il est possible d’être à la fois de gauche et pour la peine de mort, d’une gauche ennemie de celle de Robert Badinter. Dans un premier temps, on considèrera l’évolution laxiste du socialisme comme une imposture. Dans un deuxième temps, on réalisera que le projet socialiste tout entier n’est, depuis ses origines, qu’une adhésion au laxisme et à l’abandon de l’autorité officielle.

L’abolition de la peine de mort sert les intérêts de la corruption du domaine pénal et la recrudescence des erreurs judiciaires. Plutôt que de la combattre, le parti socialiste préfère laisser les tribunaux dans leur pourriture. La gauche socialiste s’assoit sur les problèmes, faute de courage. Ceux qui se morfondent en prison n’ont aucune assurance de ne pas avoir été victimes d’erreurs judiciaires. Certains d’entre eux préfèreraient la mort.

L’abolition de la peine capitale donne l’immunité à l’oligarchie corrompue. Les Marie-Antoinette de la république n’ont plus peur de finir la tête coupée. C’est ce qu’elles méritent pourtant, à l’instar des rois dégénérés de jadis. Leurs successeurs ne valent pas mieux. Même crime, même punition.

 

Contre le socialisme, l’antisocialisme est une gauche militaire. Il faut la force de la terreur pour combattre la terreur du crime. Le parti politique adapté s’engagerait à lever l’armée pour déclarer la guerre aux paradis fiscaux et aux corrompus en tout genre. L’ennemi devrait recevoir le message, sentir le vent tourner en sa défaveur. Nulle outrance dans la volonté de lutter à armes égales.

Le combat dispose déjà d’une envergure mondiale. Le crime puise sa force de l’effacement des frontières. Les lois et leur application, aussi dure soit-elle, gagneraient à se mondialiser tout autant. Exit les États voyous et les guérilléros marxistes qui servent la mafia, pendant que la bureaucratie rampante applique la politique de l’autruche.

Aucune politique ne fait l'économie d'une défense nationale ni d'une sécurité intérieure: tous les gouvernements ont pris les armes et disposent d'un bras armé. La question n'est même pas de savoir si l'on va le faire ou pas, car à la tête d'un gouvernement on est aussi chef des armées. La question est: contre qui prend-on les armes?

Quand il s'agit de se battre contre la mafia, tous les politiques faibles sont aux abonnés absents. Ils envoient leurs hommes dans les banlieues ou occuper un territoire étranger. Pendant ce temps, les criminels en col blanc restent libres de leurs mouvements. C'est là qu'il y a une place à créer, celle d’une gauche anti-mafia, d’une gauche militaire.

 

Entre l'antisocialisme et le communisme, il existe à la fois des points d'accord et des points de désaccord. Une fois rappelée la volonté, du côté antisocialiste de gauche, dans un dépassement de l'offre politique pauvre et réductrice, de mettre en place: un État mondial dont les dirigeants seraient des élus du peuple, une démographie régulée pour le respect de l'environnement et des ressources, une instance politique placée au-dessus de la finance et des conservatismes culturels quand ces derniers vont à l'encontre des droits individuels, une économie équilibrée entre la défense des services publics dans un certain nombre de domaines et un secteur privé composé de petites entreprises contre toute dérive multinationale, le consensus éventuel avec des communistes ne pourrait s'établir que sur les fonctions publiques dont on viserait, de part et d'autre, la défense. Le communisme représente toujours une gauche parmi d'autres, donc un référent partiel. À l'aune d'un projet de gouvernement planétaire, des accords interétatiques ou interministériels auraient une pertinence entre antisocialistes et certains communistes, écologistes et altermondialistes sur des bases étatistes communes. 

Un antisocialiste n'est pas un communiste, même si tous deux ont certains points en commun. Le parti pris en faveur d'une économie mixte au service d'une vision équilibrée de la politique marque une rupture dans l'économie. C'est le monde en proie au capitalisme pervers qui se situe dans l'excès opposé au communisme, ainsi que les partis prétendument modérés cautionnant cette dérive. La dualité des partis politiques occupant le devant de la scène est une chienlit. Les autres partis, dits extrémistes, ne valent pas mieux non plus car ils procèdent par blocs et empêchent toute combinatoire. Le jour où le peuple veut exprimer son mécontentement, il doit descendre dans la rue car il ne peut compter que sur lui-même. En cela, il subit une escroquerie quand les syndicats organisant les manifestations veillent en fait à étouffer toute révolte.

Il faut toujours se demander si Marx aurait approuvé l’application du communisme en Russie et son effondrement, ou l’évolution de la Chine. Ne pas oublier que "Le Capital" est une œuvre inachevée, d’où un devoir de réserve. Certes la force de travail crée la plus-value. Le communisme est-il démocratique pour autant ? Au pouvoir il n'a été que dictature. À la tête d'un État il fonctionne comme une grande entreprise. Il produit toujours plus, visant le monopole et l’hégémonie.

Quand on défend les petites entreprises privées contre les multinationales, il ne faut pas miser sur le seul communisme, autre forme d'oppression aveugle. Que le parti socialiste n’ait aucune crédibilité, c’est un fait. Que tous les électeurs de gauche déçus se rabattent pour autant sur le communisme constitue une erreur de pensée, une erreur historique.

 

Le seul bon mafieux est un mafieux mort. Il faut attaquer les paradis fiscaux, la mafia et la corruption car ils détruisent le monde, il faut les vaincre par leurs propres armes. Tout parti qui s’y refuse n'est pas une force d'opposition crédible car il est résigné face à l'inacceptable. L'argument comme quoi un pays ne peut réussir là où d'autres pays ont échoué ne tient pas car, dans un monde globalisé, même les partis politiques nationaux se doivent d'avoir des ambitions mondiales. Les difficultés que représente un tel objectif ne sauraient justifier l'absence de volonté politique.

Puisque l'on a mondialisé les marchés, il faut mondialiser aussi la politique, aller à la rencontre des forces de gauche du monde et essayer d’organiser un front commun, ou renoncer à ce front commun si les positions sont inconciliables mais en tout cas se donner les moyens, même individuellement et aussi dérisoires soient-ils, de changer le monde par des actions citoyennes.

Il y a d'autres alternatives à gauche que le communisme, il faut faire preuve d’imagination. Au terme de cette guerre, les entreprises privées et les administrations peuvent envisager de poursuivre leur coexistence dans la complémentarité et dans l’intérêt général. Le problème n’est pas tant le capitalisme en soi que ses excès et ses dérives. Mais contre les excès qui sévissent par les armes il faut prendre les armes.

Les paradis fiscaux, ce sont des milliards détournés pour déséquilibrer l’économie mondiale, empêcher le salut des pays les plus pauvres et faire croire aux pays les plus riches qu’ils dépensent soi-disant trop d’argent dans la fonction publique.

Peu importe les astuces déployées par les tenants de ce système, s’acharnant à affirmer qu’il n’y a pas de paradis fiscaux mais des interfaces de services financiers et comptables, parfois établis au cœur même de la misère humaine. L’absurdité va encore plus loin: un paradis fiscal permet aux plus riches de ne pas payer d’impôts, pendant que les travailleurs pauvres continuent à trimer toujours plus durement en payant des impôts pour entretenir le paradis fiscal dans lequel ils vivent.

La mafia, quant à elle, a malheureusement la faveur de certaines couches populaires et le phénomène prend de l’ampleur tous les jours, il n’y a qu’à observer les jeunes de certaines villes parler entre eux et se demander les uns aux autres à quel système ils appartiennent, système étant synonyme de clan mafieux en l’occurrence. C’est entré dans les mœurs alors que, dans le même temps, les spéculations sur la collecte des déchets ont laissé les ordures s’accumuler dans les rues et le taux de cancer des régions concernées grimper en flèche. On peut en trouver des exemples dans n’importe quelle culture, l’aveuglement populaire sur le problème mafieux renvoie aux efforts désespérés d’une victime prenant la défense de son bourreau.

Certes ce sont les excès d'un capitalisme dérégulé qui incitent les gens à se tourner vers les mafias pour trouver du travail. C'est parce que le peuple est livré à lui-même, abandonné par les politiques à la solde des spéculateurs qui spolient l'économie mondiale, que les mafias prospèrent. C'est même avec le capitalisme que les mafias sont apparues. À l'origine, le but des bourgeois est de se servir des bandits pour garder un contrôle sur le peuple.

D'où il ressort que si l'on veut lutter ouvertement contre la mafia et l'éliminer, il faut aussi, dans le même temps, changer de politique mondiale, imposer des limites aux multinationales, réprimer la spéculation, interdire les paradis fiscaux, assainir la gestion de l'État, garantir des services publics et encourager les petites entreprises qui créent des emplois. Si l'on vient à bout de la criminalité en col blanc, les autres criminalités s'arrêtent d'elles-mêmes car la criminalité en col blanc est la cause de tout, à savoir de la dérégulation économique et culturelle qui provoque l'insécurité à l'échelle des populations laissées à l'abandon. Il faut interdire la concurrence fiscale dans le monde, et utiliser l’armée contre la mafia.

Il faudrait aussi, dans le même esprit, empêcher les confréries d'accéder à la magistrature. Quand une organisation, associative ou autre, pose comme principe qu'un de ses membres ne peut condamner un autre membre, il y a une incompatibilité évidente avec le métier de juge et une faille dans les fondements même du système républicain tout entier, autour du flou sémantique de la notion de libre accès à la fonction publique.

Accéder librement à la fonction publique oui, à condition que ce libre accès ne soit pas incompatible avec les modalités de l'exercice de la fonction: on n'accède pas à un poste pour en contredire le fonctionnement. C'est une question de principe. Ignorer l’empreinte mafieuse du phénomène confraternel en politique, c'est comme discuter du mobilier dans une maison en proie aux tremblements de terre.

Toujours dans le même esprit, il faudrait donner priorité au mouvement anti-corruption pour assainir le système et le rendre plus transparent et plus démocratique. Tout cela ne pourrait se faire que si l’on accordait à la justice des moyens suffisants en argent et en effectifs pour garantir une justice à une seule vitesse dans l'intérêt de chacun. Les mouvements post-situationnistes de type Comité Invisible, fondés sur le déni de l’identité individuelle, ne vont certes pas dans le sens de la probité. Sous couvert de rhétorique rebelle, ils servent les intérêts mafieux, à l’instar des médecins et magistrats appelant à la désobéissance civile.

 

Pire encore que ces pseudo-rebelles, les guérilleros auteurs d'enlèvements sont une des hontes du marxisme, financés par la mafia qui a détruit des cultures pour imposer celle de la cocaïne et asservir les populations. Ce sont des terroristes qui s'en prennent à des innocents et leurs méthodes sont répugnantes. Pas de pitié pour les magouilles ni pour le crime, d’où qu’ils viennent. S'ils n'étaient pas des gangsters ils n'enlèveraient pas des innocents, ne les tortureraient pas et ne toucheraient pas au trafic de drogue. Leur soi-disant idéal vise l'instauration d'une dictature communiste, productiviste et oligarchique, le remplacement d'une caste fortunée par une autre pour oppresser le peuple d'une manière différente.

Tout véritable idéaliste de gauche se doit de rejeter aussi bien l'oppression droitière que cette guérilla mafieuse qui ne vaut pas mieux qu'elle. Dans cette dualité, tout est à jeter, tout est pourri d'un côté comme de l'autre. Ne pas mélanger les pauvres citoyens du peuple à ces sordides conflits d'intérêt qui ne légitiment aucun des deux protagonistes en présence. Ces guérilleros ne représentent pas une insurrection populaire légitime, mais un contre-pouvoir violent qui se soucie aussi peu de la population que le pouvoir en place: match nul.

La droite oppressive et la guérilla mafieuse sont comme deux mauvais parents divorcés qui se disputent la garde de leurs enfants par possession, par égoïsme et pour obtenir le monopole de la maltraitance, du viol incestueux et d'autres méthodes de même inspiration. Ne pas confondre le peuple et ceux qui s'en réclament à tort et à travers.

 

Au-delà du procès d’intention légitime contre les dirigeants du monde, comment rendre le questionnement à leur sujet encore plus intéressant? Peut-on faire évoluer ce débat de manière plus constructive? Bien sûr, quand on a le sentiment que le monde a pris une orientation capitaliste perverse, face à la dureté et au cynisme qu’une telle orientation implique, car la culture du monde des affaires est combative, dure et cynique, face à un tel constat donc on est tenté d’en conclure à la corruption des élites dirigeantes. Mais c’est, même à raison, un seuil dans la réflexion, ou un certain degré plutôt épidermique incitant à aller plus loin, à écarter provisoirement la question du procès d’intention pour se demander si un tel système convient ou pas.

Supposons que, pour tout ou en partie, les représentants mondiaux des élites financières, industrielles, militaires, politiques et autres soient sincères et croient vraiment dans le système qu'ils défendent: même en cas de désaccord tout aussi sincère avec eux, peut-on leur donner totalement tort? Peut-on dire que tout est mauvais dans ce système? On peut être globalement en désaccord avec lui sur un certain nombre de points, ce qui revient à contrarier un système par un autre, à proposer un système pour un autre avec peut-être certains points en commun.

Au-delà du procès d’intention, on s’aperçoit que si l'on proposait un système différent, il y aurait peut-être de nouvelles élites, qui seraient elles aussi suspectées à leur tour, mises à mal par des citoyens du monde qui aimeraient, au-delà de tout procès d’intention, que le monde soit différent. N’est-ce pas fondamentalement une question non seulement de philosophie politique et d’idéologie, mais aussi de choix de civilisation et d’héritage historique?

Imaginons par exemple que le système remis en question se pose en héritier de la civilisation sumérienne ou akkadienne ou babylonienne ou pharaonique ou biblique, dans ses aspects ésotériques, symboliques, idéologiques, économiques et sociaux, dans sa part de rationnel et d’irrationnel, d’objectivité et de subjectivité. Difficile de rejeter en bloc tout cet héritage, mais l'on peut interroger sa légitimité sur un certain nombre de points: l’environnement, la démographie, la répartition des richesses, la justice, autant de domaines que la culture sumérienne en son temps ne considérait pas comme prioritaires et dont ses membres n’avaient sans doute même aucune conscience.

Ainsi leurs héritiers supposés, via les grandes familles industrielles qui dominent le monde si l'on admet une telle filiation culturelle, seraient dans une conscience de l’ordre mondial qui légitime encore la combativité, les conquêtes, l’attrait du luxe et du prestige, l’instrumentalisation du peuple, sa prolifération et son anéantissement, convaincus au-delà du procès d’intention qu’il ne peut en être autrement, qu’il en a toujours été ainsi, que c’est dans la nature humaine, qu’il faut faire avec.

L’enjeu politique du débat, que ce système corresponde ou pas à l’ordre du monde, est de savoir si l'on approuve un tel système sachant qu’il est possible d’être plutôt en désaccord avec lui sans le rejeter totalement. Qui veut autre chose pour le monde, qui n’est pas sumérien dans l’âme, se retrouve politiquement marginalisé car en marge de la civilisation.

Mais la rumeur du monde, rumeur de souffrance des arbres que l'on abat et des pauvres, des malades, des victimes innocentes par millions et par milliards, donne raison au marginal hors du rêve de la grande cité triomphante. Les têtes couronnées passent aussi, tout passe et tout s’efface, la faiblesse des adeptes du pouvoir étant leur arrogance, leur absolutisme aveugle, leur relativisme quand ça les arrange, leur foi en leur suprématie, leur trop grande assurance qui leur font oublier que nul ne sait de quoi demain sera fait.

Le berceau de la civilisation avait lieu d’être en son temps, il n’en est pas moins périmé aujourd’hui dans ses aspects idéologiques tout du moins et dans leur étrange persistance. Il faut interdire les privilèges du pouvoir, ce qui revient à l’autocensure.

 

On s’autorisera, en ce point de distanciation, quelques digressions rapides sur l’art, fascination de l’humain pour sa propre production au-delà de sa dimension fonctionnelle, et geste de plus en plus dérisoire à mesure que l’humanité s’enfonce dans le consumérisme. Kasimir Malevitch, avec son "Carré blanc sur fond blanc", contribuait à cette mise à plat, à ce retour aux fondamentaux caractérisant l’art occidental du vingtième siècle, en même temps qu’il signait, d’une certaine façon, un arrêt de mort salutaire.

Toutes les écoles ont leurs dogmes arbitraires pour définir les critères de bon et de mauvais goût selon leurs enseignants. Ce sont des repères relatifs. L'indépendance intellectuelle du spectateur comme celle du créatif s'affirme dans le dépassement de ces limites fixées, la possibilité d'apprécier et de produire des œuvres en s'inspirant du meilleur de chaque style tout en le combinant à sa propre imagination. Les intégristes de l'art s'en tiendront aux critères validés par leur sphère artistique de référence. Les autres, que l’on peut considérer comme des curieux, des originaux et des nomades, feront feu de tout bois. Tout n'est pas bon dans chaque médium ni dans chaque genre mais chacun peut se défendre en tant qu'art à part entière et il appartient à tous de faire la part des choses et de retenir le meilleur en tout pour acquérir, avec ouverture d'esprit et discernement tout à la fois, une culture personnalisée, riche et intelligente. C'est l'éclectisme sélectif. La culture populaire et l'art savant s'y retrouvent, s'y côtoient, s'y mélangent et s'y complètent, chacun sous son meilleur jour, dans un éternel dialogue.

En amont, le véritable auteur au sens artistique du terme, interrogé face à sa biographie, à sa psychologie, à ses techniques, au contexte de réception de ses ouvrages, n'écrit ni ne dessine pour faire plaisir à ses lecteurs: il suit son propre chemin, partisan de la tour d’ivoire, et sa pratique reste singulière. Si en plus le retour de lecture est bon, tant mieux. Mais le but recherché est autre: l'auteur est lié à la réalisation de son travail pour des raisons intimes et passionnelles, il est dévoué à son écriture et à son dessin comme on peut être dévoué à une personne proche. Il peut très bien être commercial pour gagner sa vie, et réserver son temps libre à des activités plus personnelles. Cette dissociation permet de préserver chaque domaine, pour éviter de se retrouver à vendre des tableaux comme l’on vend des aspirateurs.

La bande dessinée occupe une place particulière au sein du débat artistique, art ancien devenu l’une des pires victimes du marketing publicitaire bas de gamme. Elle dispose de ses propres codes, c’est un art graphique et séquentiel. Cette particularité lui permet d'affirmer son statut d'art à part entière, d'art majeur. Ce statut est renforcé par une longue tradition historique qui nourrit son apparition dans la modernité: notions linguistiques, narrèmes et graphismes sont intimement liés depuis l'origine des signes humains (peintures rupestres, hiéroglyphes égyptiens, tapisserie de Bayeux, etc.). La teneur adulte du contenu, quant à elle, est tributaire du public auquel il s'adresse: il y a des BD pour les âges et des BD sans âge. Du point de vue de l'artiste, tout art est à la fois adulte et enfantin, la BD comme les autres: la psychanalyse a montré que l'art est le substitut du jeu enfantin dans la transition vers l'âge adulte.

La bande dessinée du vingtième siècle semble atteindre des sommets lorsqu’elle interroge son propre simulacre, comme dans « Calvin & Hobbes » de Bill Waterson. L'interprétation demeure libre car la réponse n'est pas explicitement formulée dans l'œuvre. La question de la réalité mise à part, la différence entre les deux Hobbes est avant tout liée au style graphique. Outre la représentation d'une peluche et d'un vrai tigre, ce n'est pas le même graphisme. Et cette question des différences graphiques est centrale pour comprendre la notion de perception, si importante dans cette série, avec entre autres: tout le bestiaire de Calvin (dinosaures, insectes géants, monstres divers); la visite de Calvin dans un musée où face à un buste grec, il se demande si c'est de l'art (exactement comme un visiteur réel se demande parfois si c'est de l'art quand il voit un objet difforme d'art contemporain, dans une inversion de point de vue); toute une planche au style graphique franchement réaliste traduisant un jeu enfantin (autre inversion de point de vue); le Calvin démiurge représenté par un œil sombre (dieu des histoires qu'il invente).

Un tel plaidoyer pour une littérature enfantine intelligente va à contre-courant de la consommation débilitante. Il permet, après coup, une critique de la dégénérescence éditoriale. Un grand éditeur implique forcément une connivence avec des médias qui sont eux-mêmes sous tutelle de puissants groupes financiers et de structures centralisées dans l'intérêt d'une oligarchie. D'où il ressort que les réseaux relationnels des grandes structures éditoriales sont plus ou moins sur les mêmes positions idéologiques que les quelques partis politiques, surtout ceux dits parlementaires, qui bénéficient toujours des meilleurs financements publics. Les personnes impliquées n’entendent rien à l’art ni à l’intelligence, leur adaptation au monde se borne à des vues immédiates. Elles ne devraient avoir aucun pouvoir de décision sur des contenus ayant trait au rêve, à la profondeur mentale et psychique.

 

Pauvres loisirs: ils se raccrochent à leur auto-satisfecit illusoire, car ils n’ont plus que ça. Voir aussi l’évolution de l’industrie des jeux vidéo. Sortie dans la précipitation, la Playstation 4 de Sony confirme l'adhésion à un consumérisme bas de gamme, le règne du jetable et de l'obsolescence programmée, consistant à produire plus au moindre coût pour vendre davantage au plus grand nombre, en ratissant large. Cette tendance existe au moins depuis les années 1990, où la promotion ouverte, massive et consensuelle du téléchargement illégal a fait, cyniquement, le jeu d'un marché imposant le support numérique au détriment de la qualité du support matériel. Les consommateurs se font avoir mais personne ou prou ne bronche, sauf quand il s'agit de voler au secours de la corruption ambiante et du délitement.

Il suffit de se rendre dans un magasin de jeux vidéo pour comprendre que le département marketing de Sony ne fait pas correctement son travail. Sinon il y aurait une remontée des joueurs qui réclament: des consoles garanties dix ans (les PS2 achetées en 2001 marchent toujours); la rétrocompatibilité jusqu'à la première PS; la possibilité de sauvegarder ses parties sur des cartouches amovibles, sans passer par le service en ligne; le dézonage. Ceci dit, dans l'ordre des vraies priorités, on réclame avant tout du travail, de bons salaires, etc. L'ameublement du temps libre vient loin derrière, parfois faute de temps libre justement.

Comme un problème léger en cache parfois un plus grave, la déliquescence de l'industrie des loisirs, à l'instar de l'humanité dans son ensemble, va avec l'épuisement des ressources naturelles. Il faut être aveugle ou de mauvaise foi pour ne pas voir le lien entre la régression d'une qualité de vie et l'environnement qui la supporte, sans rien dire de la majorité qui n'a jamais joué, faute de moyens, à laquelle la minorité restante se joindra en boycottant les nouvelles consoles de jeu, faute de plaisir. Dans la foulée, on enverra valser les Smartphones, tablettes et autres gadgets pourris dont certains informaticiens mal inspirés continuent à faire la promotion active jusque dans les écoles.

Outre la plupart des jeux vidéo de cette époque-poubelle que représentent les années 2014 commémorant la première guerre mondiale, l'état des lieux des divertissements qui ne divertissent pas et dont, de ce fait, on gagne à se détourner, se poursuit avec les grosses productions cinématographiques, dont les films de Quentin Tarantino depuis que ce dernier se vautre dans la fange du racisme mélodramatique le plus ordurier, sans oublier, par ailleurs, les blockbusters procédant à un énième recyclage des séries de super-héros. Après l'époque, plus convaincante, allant de "Incassable" à "Watchmen" en passant par "Sin City", la décence aurait consisté soit à faire mieux, soit à s'abstenir.

On citera également les albums de bande dessinée (encore elle) qui, publiés par milliers chaque année, se ressemblent tous, avec des scénarios au kilomètre sur des thèmes usés, le même dessin a-stylistique et standardisé, les sempiternelles techniques Photoshop de colorisation basique. Quant aux auteurs prétendument artistiques, encore faut-il faire la part entre les vrais indépendants, rarissimes, et les imposteurs, ceux qui semblent œuvrer dans le fanzinat tout en acclamant la reprise d'Astérix par Ferri, la bêtise chez Zep, la mondanité chez Boulet, l’esbroufe chez Vivès, l’incompétence chez Sfar, la fatuité chez Run et les éditions Ankama, ou encore le sacre de Larcenet, chevalier salonnard des arts et lettres du copinage, par le régime socialiste adoubant la clique des parasites d'Angoulême et la politique des quotas culturels, laquelle s'est toujours échinée à promouvoir ce que la France commet de pire en la matière.

Puisque le fil rouge de ces quelques lignes vise à pointer du doigt les productivismes publicitaires qui, dans leur caniveau, ont en commun d'être assez bêtes pour se saborder eux-mêmes, on ne terminera pas cet inventaire succinct sans évoquer la communication lamentable des principaux forums de discussion attenants (BD, graphisme, etc.), soi-disant "espaces de délassement" dont certains, parmi les plus notoires, ne sont depuis les années 2000 que des dépotoirs d'insultes, d'attaques personnelles, de calomnies et de spéculations sur la mort des personnalités (à l'exception notable, bien entendu, de leurs amis éditeurs, libraires, dessinateurs ou scénaristes), ce avec la complaisance totale des administrateurs, dont la teneur des fréquentations n'excède pas leur propre mérite.

 

Il y a encore de la place pour la beauté et pour l'espoir, pour la noblesse et pour la compassion. Il y a surtout de la place pour les auteurs qui, contre vents et marées, ont décidé de faire de l'art et de continuer à en faire. Face à la médiocrité et à la bassesse sociale qui dissimule mal sa vacuité et son malaise derrière un pseudo-humour dont l'illusion fait de moins en moins recette, ici c'est le courage de l'individu, de l'auteur original et sensible qui suit son propre cheminement et qui a raison de le faire. Comme antidote au conformisme malsain des milieux sociaux et du conservatisme culturel de bas étage, des coteries mondaines et autres magouilles de notables, le salut semble venir de la vie intérieure, de l'authenticité et de la sincérité vis à vis de soi et vis à vis du monde: c'est aussi ce qui émane de cette œuvre, "Ma’at".

Il faut prendre le temps, prendre le temps de dire que "Ma'at" de Simon G. Phelipot est une série qui va déranger le petit monde de la bande dessinée parce que l'art, le vrai, n'est jamais gratuit ni innocent: ce n'est pas juste de la peinture dans des cases (ce qui rassurerait les institutions), l'art est un acte subversif et idéologique.

Raconter et peindre des histoires différemment, c'est changer le monde de la bande dessinée, c'est oser dire que de nouvelles portes peuvent s'ouvrir pour les auteurs, c'est affirmer encore et toujours qu'ils ont le droit, que tous les auteurs ont le droit, de changer les codes, de se les réapproprier, de montrer que la bande dessinée peut être différente, que le monde de la bande dessinée peut être différent, que notre regard sur le monde peut être différent et que, de ce fait, c'est le monde entier qui peut être différent.

Réfléchissons deux secondes: l'industrie de la bande dessinée, qu'est-ce que c'est? Comme toute industrie culturelle, c'est une machine qui nous dit comment on doit voir les choses, comment on doit penser, comment on doit rire ou pleurer. "Ma'at" est à des années-lumière de ces stéréotypes, et à des années-lumière elle peut tout revisiter: le proche et le lointain, l'intime et l'inaccessible, l'humain et le grand inconnu, l'être et l'image, la figure et l'abstraction, l'humilité et la grandeur, la douceur et l'amertume, la tristesse et la violence, le feu et l'ombre, la matière et l'érosion, la chair et le souvenir.

Ceux qui ne comprennent pas l'histoire de "Ma'at" ont sans doute oublié que notre compréhension passe par des schémas préconstruits par la culture. La compréhension cartésienne de la narration s'appuie sur certains schémas qui, pense-t-on, président aussi notre vie. Mais un simple effort d'introspection suffit pour se rendre compte que le regard même que nous portons sur notre vraie vie n'est pas forcément linéaire ni évident, surtout pas cartésien.

Combien d'horizons lointains surgissent d'un regard qui se plonge dans le ciel embrumé ou dans l'usure des immeubles qui défilent sur notre route? Combien de souvenirs confus reviennent au passager qui s'oublie dans son propre voyage? Combien de fois nos actes moteurs, les buts et destinations que nous nous fixons, les mécanismes de l'utile et du nécessaire, se perdent-ils dans ce que nous y mettons de nous-mêmes, du plus profond de notre mémoire et de nos errances face aux brouillages de nos repères, à la suspension du temps, au travail de l'oubli et des réminiscences douloureuses ou sereines?

Interroger devrait être le préliminaire à toute compréhension, comme douter le préliminaire à toute certitude incertaine, et c'est plus que de doute cartésien ici dont il s'agit, car d'un doute qui dépasse toute méthode. Contempler devrait être le préliminaire à toute interrogation. Et ressentir devrait être le préliminaire à toute contemplation. À ceux qui affirment ne pas vous comprendre, vous pouvez leur répondre: « Mais est-ce que vous avez seulement pris le temps de m'écouter » ?

Combien d'histoires, enfin, englobent notre propre histoire, la propre histoire de "Ma'at"? La grande Histoire au-delà des histoires, et au-delà du fait historique même, la marche de l'univers qui finira par tout emporter. Il y a tout cela ici, comme cette citation de Lucrèce au début de l'album: "Quelle différence restera-t-il donc entre une masse énorme et un atome imperceptible? Aucune; car quoi que le monde soit immense, la plus petite chose contiendra autant de parts que l'infini".

 

Cette méditation visuelle en introduit une autre, sonore. En musique, il faut se replonger dans la discographie de Keith Jarrett, accompagné de ses complices de toujours Gary Peacock et Jack DeJonhette, pour accomplir, via le jazz d’un même artiste, le grand écart entre le blues et la musique classique de Bach et de ses successeurs. L’approche créative des standards par Jarrett prouve que l’interprétation est un art. L’appropriation réussie amène l’aisance. Même l’accentuation de la dissonance coule de source.

Cet aspect rejoint l'équilibre rare qu'il tient entre une mélodie tout en rêverie poétique et en longs développements, et un rythme nerveux et changeant. Dans les arpèges de l'improvisation, la richesse musicale de sa culture, de son jazz et de son swing fait ressortir tour à tour les deux pôles qui nourrissent la beauté et le paradoxe de son style: le blues et la musique classique, toujours eux, en toile de fond.

Ce bref hommage donnera l’occasion de saluer, plus généralement, la musique des années 1970. Parmi d’autres géants qui s’étaient imposés à l’époque, on citera le groupe Return To Forever: Chick Corea, Stanley Clarke, Al Di Meola et Lenny White. Leur reformation sur scène en 2008 fut un cadeau pour tous les aficionados de cette décennie qui regroupait le meilleur de la soul symphonique et du rock progressif. Le groupe a ressuscité cette synergie incroyable, planante, rock, fusionnelle, intense, changeante, au service d’une histoire longue et passionnante.

 

La surmédiatisation des musiques populaires, qui a été amenée par les techniques d’enregistrement et par le développement des médias de masse en même temps qu’elle a éclipsé les musiques plus traditionnelles et plus savantes, s’est accentuée à partir des années 1980, en pleine explosion de la globalisation néolibérale.

Après la charnière du jazz, le rock et le rap, outre leur part de pertinence et de légitimité, soulèvent des problèmes d’ordre éthique et politique. Bien que ponctuelle, la violence avérée de certains musiciens, voués à leur propre culte via la starification, confine au narcissisme maladif, à l’idolâtrie excessive de soi, créant un clivage entre la possibilité d’apprécier, par exemple, les albums de James Brown ou de Noir Désir, et la condamnation des violences conjugales dont le père du funk et Bertrand Cantat, surtout ce dernier, paix à Marie Trintignant, se sont rendus coupables. Avec eux, l’artiste qui électrise les foules n’a plus d’exemplarité. Pourtant, les jeunes continuent à s’identifier à lui.

L’autre principal aspect de la globalisation culturelle populaire se résume à l’assimilation des tendances originaires d’Amérique du Nord par les autres pays. Le rap français ne se réduit pas entièrement à une copie du rap américain. La part de vérité de cette appréciation se situe, comme toujours, en-deçà de la caricature. Joey Starr, influencé par Louis Armstrong et par Bon Scott, n’a pas pompé le flow de Big Daddy Kane même si, sans Big Daddy Kane, il n’y aurait pas eu de Joey Starr.

Dans les limites des frontières hexagonales, ces réflexions posent en outre la question du rapport entre l’hymne national et les musiques populaires plus modernes, jusqu’au paradoxe suivant: si la Marseillaise est un hymne populaire, ne faut-il pas reconnaître au peuple de France, quelles que soient ses origines ethniques, le droit de choisir son attitude face à cet hymne, quitte à le huer dans les stades de football? Les raisons de conspuer la Marseillaise correspondent à une contestation populaire face à un idéal en rupture avec les politiques effectives. Ici se terminent les digressions sur l’art. Retour à la politique, à travers les différences entre réformes et révolutions.

 

Dans un régime politique doté d'institutions, d'un multipartisme prétendument démocratique, d'élections au suffrage universel direct ou indirect, la réforme consiste à introduire des changements dans le système par une voie officielle et légale, en respectant le cadre qui, en principe, permet à de nouvelles idées d'émerger sur la base d'un commun accord entre tous les partis en présence, y compris le pouvoir sortant.

Dans le même système, la révolution prendrait le pouvoir par les armes et renverserait le régime en place par un coup d'État visant l’instauration d’un système radicalement différent, par exemple une dictature.

Pratiquement, le réformisme a du mal à se faire entendre, compte tenu du conservatisme institutionnel et de l'influence de la mondialisation financière spéculative qui subordonne le politique à ses prérogatives: ce que l'on appelle des réformes dans une sémantique déroutée, c'est en fait l'immobilisme des potentats qui, n'ayant pas la volonté de résister à l'influence des marchés financiers jugés supérieurs en force, se contentent de les satisfaire, et leur inertie apparaît dès lors comme le moyen de faire barrage aux idées nouvelles ou alternatives qui pourraient remettre en cause la mondialisation néolibérale.

Ainsi le consensus autour du centre ne génère aucun parti réformiste, consensus allié des partis conservateurs et pro-institutionnels mettant sa rigidité culturelle interne au service des marchés spéculatifs mondiaux considérés comme hiérarchiquement supérieurs. On peut dire, dans une moindre mesure ou avec certaines nuances spécifiques à chaque formation politique, que les principaux partis d'extrême gauche et d'extrême droite participent de la même logique d'étouffement, dont le but consiste à persuader les électeurs qu'il n'existe pas d'autre choix possible hors le classicisme républicain, le communisme ou le nationalisme, trois systèmes ayant en commun de satisfaire les exigences surproductivistes de la doxa néolibérale et de ses errances.

Contrairement à une idée reçue qui voudrait faire passer pour révolutionnaire la volonté d'interdire les paradis fiscaux dans le monde, en fait tout dépendrait de la manière dont cette proposition politique serait introduite dans le système. Imaginons un parti émergent qui aurait la volonté de monter au créneau mondial pour rallier d'autres États dans une guerre contre les paradis fiscaux. S'il le faisait par le biais des élections nationales dans un premier temps, pour faire entendre sa voix à l'ONU dans un deuxième temps et convaincre effectivement d'autres États de rejoindre sa cause dans le cadre d'une résolution mondiale officielle, même si cela devait entraîner comme prévu une véritable guerre contre les paradis fiscaux, il ne s'agirait pas d'une révolution mais d'une réforme car la voie resterait officielle.

Les premiers obstacles à cette émergence seraient nationaux et même locaux, ils se manifesteraient tout en bas de l'échelle, à commencer par les signatures des maires nécessaires pour pouvoir présenter un candidat aux élections présidentielles. Les maires sont, pour la grande plupart, des représentants du bipartisme et donc des gardiens de la république sous sa forme la plus conventionnelle, disciplinée et soumise aux marchés mondiaux. Ils n'autorisent comme opposition qu'une opposition convenue, avec leurs épouvantails de circonstance, reconvertis sur le tard en soi-disant rebelles communistes ou nationalistes.  

La cyberdissidence, quant à elle, tend à représenter une forme d'activisme aux ambitions révolutionnaires selon les codes et les moyens propres aux nouvelles technologies. Son authenticité se voit remise en cause par le recours abusif à l'anonymat cachant parfois des manipulations gouvernementales ou mafieuses. La part indue entre censure à géométrie variable et dérives laxistes, cyniques et mercantiles, amène à interroger en permanence le détail des revendications et de leurs arguments afin de trier le bon grain de l'ivraie, selon une conscience critique éclairée. Les mêmes qui veulent nous tiers-mondiser et nous réduire au silence peuvent très bien se poser, par ailleurs, en chantres de la liberté d'expression. Des notions trop générales se prêtent volontiers à l'escroquerie intellectuelle chez les esprits mal tournés.

Cette méfiance nous renvoie au caractère pseudo-révolutionnaire de certains mouvements étudiants, quand on s'aperçoit que ces derniers ont en fait eu des conséquences favorables à l'économie de marché contre l'État. Contrairement à ce qu'il aurait fallu faire si le but avait été d'émanciper l'individu, cette génération, sous prétexte de libéraliser les mœurs, n'a fait que libéraliser davantage l'économie au cours des décennies suivantes. Tout s'est passé comme si la perte des valeurs (mariage, famille traditionnelle, religion) avait eu pour but d'instaurer un relativisme favorable à l'émergence d'une génération de consommateurs aisément manipulables et sensibles aux slogans.

Comme le grand perdant a en définitive été l'État, les tenants de l'économie mondiale ont pu d'autant mieux imposer leur diktat de la finance, loi du plus fort correspondant au plus vieux système du monde, et position culturellement réactionnaire dans son opportunisme affairiste, conservatisme expliquant après coup pourquoi le mariage, la famille traditionnelle et la religion ne se sont jamais aussi bien portés qu'après coup, avant de subir une seconde vague de décadence correspondant à la progression aliénante des liens sociaux informels au détriment de l'État de droit.

En fait le business tyrannique et les valeurs réactionnaires mi-phallocratiques, mi-androgynes, vont ensemble. Entendre: tout ce qui ne contredit pas les marchés financiers, le plus grand libéralisme en économie avec le conservatisme le plus tenace sur le plan des mœurs, ce malgré une dégénérescence morale prétendument progressiste. Témoin l'état persistant de dépendance économique des femmes, dont l'industrie de la prostitution demeure l'un des signes les plus caractéristiques. On a voulu nous faire croire que vendre son corps était une libération morale, alors que c'est une aliénation qui soumet la sexualité à des impératifs de rentabilité.

Le tout économique n'a rien de libérateur. Si l'on avait séparé le sexe et l'argent, en posant comme principe que chacun reste seul maître de sa vie privée en toute gratuité, et si l'on avait largement ouvert le monde du travail aux femmes en commençant dès l'école à œuvrer au changement des mentalités autour de la différence de statut juridique d'un sexe à l'autre, on aurait eu une vraie évolution dans le sens du réformisme constructif, contrairement au triomphalisme braillard de la pseudo-révolution libertaire.

 

Si huit êtres humains sur dix ont une religion, comment ne pas considérer que la religion aura un poids dans la politique? La volonté politique de faire table rase des religions a eu pour conséquence fâcheuse de priver les problématiques existentielles humaines de tout fondement éthique et métaphysique. Il en ressort que le politique séparé du religieux est malheureusement devenu, du même coup, le politique n'osant plus aborder les questions du bien et du mal. Accessoirement, le consumérisme l'emporte sur tout ce que la tradition pouvait comporter de bon. De vieilles chapelles, de plusieurs siècles pour certaines d'entre elles, sont rasées au profit de fast-foods approvisionnés par ces horribles usines alimentaires où les animaux sont torturés. On n'a pas pris soin de séparer l'État du règne de la malbouffe, sinon cette dernière aurait été interdite, ce qu'il aurait fallu faire.

Dissocier les fonctions est une bonne chose car, chacun dans son rôle, on travaille plus efficacement. Pour autant, on aurait tort de liquider tout ce que la religion apporte de pertinent à la politique. À la base des civilisations se trouvent parfois les réponses aux problèmes contemporains. On n'a pas réfléchi, dans l'Histoire, sur les valeurs éthiques sans passer par toute une phase de symbolisation cultuelle ayant accompagné les fondements du droit, autour de l'idée plus générale quant à savoir ce qu'il faut faire et ce qu'il ne faut pas faire.

Agir selon le droit, c'est en principe bien agir, sauf si l'on peut démontrer la présence d'une loi inique, et inversement: bien agir, c'est en principe agir selon le droit, pour peu que le droit ait été défini selon un cheminement attaché à une justice elle-même ancrée au plus profond des rapports naturels, garantissant une coexistence harmonieuse entre les êtres. Le rapport entre proies et prédateurs dans la nature n’est qu’une affaire de survie.

La corruption du religieux par le politique s'avère tout aussi regrettable, car elle introduit dans le temple des intérêts sans relation avec le spirituel, ce qui dénature le message. Tout gouvernement devrait renouer avec l'héritage patrimonial et philosophique des doctrines théistes, sans déteindre sur elles au point de brouiller les cartes, ni subir leur influence au détriment de l'autodétermination politique.

Il y aurait un juste équilibre, qui consisterait à intégrer des conseils religieux au sein des instances parlementaires et autour de celles-ci. Chacun de ces conseils, ainsi, éclairerait le débat de ses avis sans s'imposer systématiquement ni disparaître complètement. Toute pensée unique mène à l'excès, et l'excès à la dérive. Le pluralisme équilibre l'organisation de la cité. Il faut réintégrer le religieux sans en devenir l'esclave, et pour cela encourager un débat théologique intelligent. Les croyants gagnent à s'interroger sur le sens véritable, voire sur la vérité polysémique des dogmes définis par leurs livres sacrés. Cette volonté de synthèse se passera, sur ce point du débat, d'un recours aux références cartésiennes et voltairiennes, surestimées par chauvinisme dans leur pays d'origine, la France des imposteurs et des arrogants. Conciliation ne veut pas dire mondanité ni complaisance. Preuve en est, qu'aucun des partisans de ces deux auteurs, même parmi les plus tardifs, n'a jamais proposé d'intégrer de conseil religieux dans un État laïc.

Que l’on soit religieux, théiste, athée ou agnostique, on peut se rejoindre dans le dépassement d’une lecture trop littérale des textes sacrés. Parler de flammes lorsque l’on évoque l’enfer, c'est perdre de vue la dimension parabolique ou métaphorique des messages religieux. Ceux qui pensent que certaines choses brisées ne peuvent plus être réparées, et qu'il en est de même pour certains sentiments liés à nos actes et à la culpabilité qui peut en résulter, n’ont pas tort. Mais, à supposer qu'il existe un au-delà, on ne peut pas souffrir éternellement car la peine doit être proportionnée à l'acte.

Aucun être humain n'ayant le pouvoir de faire souffrir éternellement, il ne peut donc pas subir un tel châtiment non plus car les actes humains s'inscrivent dans le temporel, à moins de considérer qu'il existe des vies irrémédiablement brisées. Mais ces vies, brisées par leur propre fait (coupable) ou par le fait d'autrui (victime) ou par simple accident peuvent prétendre au salut d'une manière ou d'une autre (paradis ou annihilation, anéantissement, destruction) si l’on envisage la mort, d'une manière ou d'une autre, comme une voie de salut.

Impossible d’imaginer un seul instant qu'il y ait assez de cruauté dans l'Univers pour infliger une souffrance éternelle à qui que ce soit. Même les pires criminels ne le méritent pas. La plupart des êtres humains vivent déjà l'enfer sur terre, pas la peine d'en rajouter: on a tous droit au soulagement. Ce sera peut-être le Paradis pour les croyants, et l'absolution dans le Néant pour les autres. Mais tous reposeront en paix, quoi qu'ils aient fait de leur vie. C'est pourquoi il faut mettre un soin particulier à rendre justice sur terre.

 

Le racisme implique une communauté auto-définie selon des critères raciaux contre une autre communauté perçue, elle aussi, comme telle. Le racisme puise donc sa source dans un fort attachement communautaire. Seule une personne attachée à sa propre communauté peut être raciste, ce qui ne veut pas dire que toutes les personnes attachées à leur communauté le sont, mais l'attachement communautaire est une condition sine qua non du racisme. Si l'on n'éprouve aucun lien identitaire particulier vis-à-vis d'une communauté raciale quelconque, si la notion même de communauté raciale ne fait pas sens, reste lettre morte, alors on ne peut pas être raciste et on peut même devenir antiraciste.

Au moins deux profils paraissent donc intégrables à la perspective d'une lutte légitime des autorités contre le racisme au nom du respect de l'individu: un profil communautaire non-raciste voire antiraciste, et un profil individuel non-communautaire, deux profils susceptibles de coexister pacifiquement dans le respect mutuel.

On prolongera la réflexion pour déterminer ce qui peut rapprocher les peuples, au-delà de leurs différences, dans un esprit de coopération pacifique. L'équité dans les échanges économiques s'impose au premier plan, le commerce ayant été la voie de la civilisation par l'échange et par la prise en compte de tous les intérêts en présence. Une vision globale de la cité, respectueuse des communautés et des individus, s'articulerait autour de la notion d'intérêt général, en accord avec un idéal que les civilisations industrielles, dans leur dérive spéculative, ont malheureusement perdu de vue. La lutte contre le racisme nécessite autant d'idéalisme philosophique que de réalisme économique.

Concernant la condamnation des actes violents, la raison de cette condamnation trouve son origine dans le refus de la violence physique d'une manière générale ou, du moins, dans le refus de la violence entre civils, car le recours à la violence est parfois nécessaire chez les forces de l'ordre. L'antiracisme ainsi défini rejoint la non-violence civile, tout comme il rejoint la condamnation de la xénophobie et de l'antisémitisme.

Mais la raison profonde de l'antiracisme dans une pensée de gauche est liée au postulat selon lequel l'individu est irréductible à sa couleur de peau, à son origine ethnique, à une culture et à une communauté quelconque. Pour la gauche, la liberté de l'individu ne doit pas se heurter à un sacrifice au regard du respect des traditions du groupe ou de la solidarité culturelle envers ce dernier.

Le racisme, jugé réducteur car niant l'individu en faisant de lui le simple représentant d'une communauté ethnique, est en contradiction avec les postulats d’une gauche affirmant la souveraineté de l'individu, le primat de l'individu sur toute forme de collectivisation susceptible de porter atteinte aux droits personnels fondamentaux comme celui, précisément, de ne se reconnaître dans aucune communauté ni dans aucune tradition si ce n'est celle, syncrétique, qu'il s'est lui-même forgée sur mesure via le nomadisme. Il faut en même temps reconnaître le bien-fondé de l’identité ethnique et des traditions, mais jamais au prix d’une souffrance infligée aux individus.

Il y aurait donc harmonisation: certains châtiments, comme les châtiments corporels, seraient interdits et convertis en peines de prison par exemple. L'excision serait toujours interdite également. Mais, en officialisant le communautarisme, on le placerait sous contrôle de l'État de droit, meilleur moyen d'empêcher, justement, certaines pratiques portant atteinte à l'intégrité physique des personnes contre leur gré. L'individu aurait le droit de ne se reconnaître dans aucune communauté, d'en refuser la carte et, par conséquent, d'en refuser les règles.

Le modèle républicain français ne permet pas d'intégrer plusieurs modèles ethniques ou culturels au sein d'une même entité. La solution consisterait à identifier les différentes cultures qui existent en France, y compris les traditions régionalistes, de les reconnaître et de leur accorder un statut officiel. Les textes stipuleraient qu'il existe ainsi plusieurs modèles culturels en France, et que chacun est libre de choisir le sien (communautarisme) ou de n'en choisir aucun en particulier (individualisme).

Les dénominateurs communs entre les différents groupes serviraient à l'élaboration d'une référence de base, tolérant certaines variantes juridiques tout en interdisant les excès liés à l'intégrisme fanatique. Tout cela n'irait pas sans réformes en matière d'économie et de politique: arrêter de piller les matières premières de l'Afrique, œuvrer au codéveloppement pour mieux endiguer les excès de l'immigration, et réguler la démographie.

 

Le nationalisme est critiquable en ce qu’il refuse d’admettre l’existence des alternatives mondialistes. Il continue de mettre tous les mondialistes dans le même panier, à les assimiler à des personnages aussi contestables que Jacques Attali, contestables à en juger par leur élitisme profondément arbitraire, inéquitable et injuste.

Or, il n'y a pas qu'un seul mondialisme: le mondialisme, tout comme le nationalisme, peut recouvrir l'ensemble des tendances politiques depuis l'extrême gauche jusqu'à l'extrême droite. Certains mondialismes sont en profond désaccord avec d’autres. Cette pluralité brisée, faite de ruptures, de chaos et de positions inconciliables, révèle un abîme sans fond, laissant chaque individu face à la nécessité de définir sa propre vertu.

 

L’être humain vertueux est d’abord celui qui vit en accord avec les règles fixées pour gouverner sa vie tout en respectant autrui. Il reconnaît donc aux autres le droit de mener leur existence comme ils l’entendent eux aussi pourvu que le respect soit mutuel. Il vit en accord non seulement avec ce qu’il juge être bon mais aussi avec la conscience d’autrui et la réciprocité.

La vertu est la disposition de l’esprit qui incite à faire le bien. Elle se fonde sur la liberté, la cohérence et la responsabilité: liberté de se fixer soi-même ses propres règles, cohérence dans le fait de vivre en accord avec celles-ci et responsabilité de ses actes vis-à-vis des autres dans la mesure où ils sont concernés. L’homme vertueux, comme la femme vertueuse, doit répondre de ses actes. Plus il respectera la vie des autres, plus il allègera le fardeau de sa propre responsabilité et plus grande sera sa liberté.

Cette disposition est indépendante de l’amour: l’amour est un sentiment personnel qu’aucune autorité extérieure ne peut régenter. Chacun est libre d’aimer, de haïr ou de tenir qui bon lui semble dans l’indifférence, à condition de respecter cette personne. Si la vertu n’implique pas nécessairement l’amour d’autrui, en revanche elle commande toujours le respect. La condition de ce respect n’est pas l’amour mais la volonté de s’en tenir à des règles et à des principes assurant la coexistence.

L’amour n’est ni interdit, ni obligatoire. Il en va de même pour les croyances religieuses: nul besoin d’être croyant ou non pour être vertueux. Chacun est libre de mener sa vie comme il l’entend à condition de respecter celle d’autrui.

 

Dans une perspective matérialiste, le mal serait fondamentalement physique, relatif à la douleur et à la maladie. Au-delà de cette perspective, il convient de distinguer la morale et l’éthique.

La morale vient du groupe et de la hiérarchie, elle est communautaire et autoritaire, on impose des valeurs que l'on ne comprend pas forcément et dont on ne sait pas si elles sont fondées ou non, mais qui servent probablement les intérêts des dirigeants. Implicitement, la morale de la société apparaît comme une morale guerrière, irrationnelle et néfaste teintée d'un soi-disant humour et d'une grande bêtise. Elle encourage la lutte de tous contre tous, valorise la dualité, la compétition, la victoire et la domination, elle dit: à la guerre comme à la guerre, elle ordonne tous les coups et impose, en substance, de s’écraser devant le chef.

L'éthique, au contraire, est individuelle et intelligente: on choisit d'adhérer à certains principes car ces principes semblent logiques et on peut le démontrer objectivement. L'éthique dit par exemple que la liberté d’une personne s'arrête là où commence celle des autres,  qu’il ne faut pas faire à autrui ce que l'on ne veut pas subir soi-même. L'éthique, si elle est respectée, permet donc de démontrer que l'individu est meilleur que la société. C'est la différence, en somme, entre obéir aveuglément et comprendre pourquoi il ne faut pas faire certaines choses.

Tout ceci ne prouve rien sur le plan métaphysique et théologique, mais montre que les notions de bien et de mal concernent les affaires humaines. Comme l’humain est en évolution, son rapport à ces notions ne saurait faire l’économie d’un questionnement philosophique ni d’un devoir de réserve sous peine de graves erreurs d’appréciation dont il peut prendre conscience après coup mais trop tard, l’enfer pavé de bonnes intentions. Ou alors il assume ses convictions à ses risques et périls, le problème étant d’entraîner d’autres personnes dans la tourmente.

L’agnostique n’a pas de réponse tranchée aux questions sur la finalité éventuelle de l’Univers. Le bien existe, le mal aussi mais il n'est qu'une déformation du bien, sans fondement propre.

L'univers dualiste, dans sa dimension métaphysique comme dans sa dimension éthique, n'est qu'une vision simpliste, celle d'une poire coupée en deux par le milieu. Le positif et le négatif en physique n'ont pas de connotation en termes de valeur. On n'a jamais connu d'enfer ni de paradis ailleurs que sur terre, à cause des humains. Lumière et ténèbres renvoient également à la physique. Bref, c'est l'enfance de la pensée qui confond abusivement les principes du taiji avec ceux du manichéisme. Toute organisation politique digne de ce nom vise la conformité à une définition du bien et du bien seul.

En conséquence, il s'agit de placer l'État de droit au-dessus des individus et de placer les individus au-dessus de la société surtout, parfois de la culture, des groupes, des institutions, des coutumes, des traditions et des usages. Voilà le point de départ d'une définition de l'interdit dont le but serait de protéger la liberté individuelle contre l'aliénation sociale grâce à l'État de droit selon la hiérarchie suivante: État de droit d'abord, individu ensuite, société en dernier lieu.

Car la question prioritaire posée à toute civilisation en devenir porte sur la hiérarchisation entre ses composantes, celles qui doivent demeurer et celles qui autant que possible gagneraient à disparaître, dans un tri sélectif: les marchés, l'économie, la finance, l'entreprise privée; les relations sociales en elles-mêmes, la sociabilité, les réseaux relationnels; la famille, les communautés, les coutumes, les traditions, la culture de groupe; la religion, le sacré, la transcendance, le clergé; la Nation, l'État de droit, l'État; l'individu.

La sacralisation de l'individu n'a de chances de s'accomplir qu'en plaçant l'État de droit en position de supériorité, ce qui semble paradoxal mais protéger l'individu est bien le but visé. Il faut affirmer que l'État de droit est supérieur à l'individu, que l'individu est supérieur à la société, et donc interdire tout ce qui peut porter atteinte à la volonté individuelle dans l'exercice de ses droits légitimes, notamment les atteintes aux personnes et à la vie privée.

Il est primordial de connaître ses droits, de se méfier de la société, de la combattre et d'attaquer les autres en justice si la société ne respecte pas l'individu. Que le droit se fonde sur l'éthique, et l'éthique sur une logique de réciprocité dans le respect.

Le problème de l'esprit social, de la solidarité systématique envers certaines personnes, certains groupes, certaines corporations bien définies, réside évidemment dans sa partialité: que l’on ait raison ou que l’on ait tort, cette solidarité joue toujours entre gens qui portent la même casquette. C'est ce qui caractérise le paysage politique actuel, et aussi celui de la société: on est revenu à un système où les gens qui appartiennent au même camp se couvriront toujours mutuellement, quoi qu'ils fassent.

Il n'y a donc pas de différence de fond entre les agents qui se disent toujours du côté des fonctionnaires, du côté des entreprises, du côté des syndicats, du côté des amis. Ils peuvent cautionner des actions légitimes comme ils peuvent fermer les yeux sur des magouilles, des coups tordus, des trafics.

Pour que la politique soit vertueuse, à l’image de l’individu vertueux, il faut qu'elle soit impartiale et qu'elle analyse chaque dossier au cas par cas. Et pour ce faire, il faut qu'elle repose non pas sur une solidarité de groupe, mais sur des principes d'éthique clairement définis. 

La morale est imposée par le groupe, les individus n'en comprennent pas forcément le sens. Quand l'autorisation ou l'interdiction émanent d'une autorité représentant le groupe, cette dernière n'argumente pas mais se contente de dire: "Il faut faire ceci et il ne faut pas faire cela" sans expliquer le pourquoi. Le pourquoi peut s'expliquer par des facteurs contingents tels que l'intérêt du chef ou, justement, l'appel à la solidarité envers le groupe.

Avec l'éthique on sait pourquoi ceci est bien et cela est mal, car l'éthique est le résultat d'une démarche de réflexion logique que chaque individu peut s'approprier et intérioriser. L'éthique est le résultat de la démarche de réflexion d'une personne libre, émancipée du groupe: je sais pourquoi j'agis car je comprends les principes auxquels j'ai choisi d'adhérer et leurs fondements.

D'après cette distinction, la morale communautaire apparaît comme une aliénation et l'éthique individuelle comme une auto-détermination. Avec la morale on a des agents d'une même corporation (avocats, flics, syndicalistes, comité de direction d'une entreprise, autres) qui vont se couvrir systématiquement les uns les autres, quoi qu'ils fassent. Avec l'éthique on a des individus qui vont prendre de la distance vis à vis du groupe (leur groupe d'appartenance supposé mais aussi les groupes des autres) pour leur opposer l'impartialité de la justice, ou encore les notions d'égalité, d'équité, de loyauté et de réciprocité. Le mouvement des juges anti-corruption, par exemple, semble découler de cette critique fondamentale du groupe par l'individu au nom de principes et de critères qui analysent la logique de l'action, en la posant comme supérieure aux intérêts d'un groupe donné.

La morale préconise la fidélité envers ses pairs, l'éthique va au-delà: elle estime que l'action juste est due à tous, et non pas seulement aux membres de son groupe d'appartenance supposé. On se peut se désolidariser de son groupe si l’on s'estime en désaccord éthique avec le comportement des autres membres, reconnaître que dans certains cas ce ne sont pas les siens qui ont raison mais ceux de l'autre camp. C'est la conscience, chez l'individu, que son groupe d'appartenance n'est pas infaillible et qu'il ne faut donc pas lui être systématiquement solidaire.

La conscience critique de la morale communautaire peut naître à l'intérieur du groupe et provenir d'un ou de plusieurs individus en désaccord avec le groupe sur tel ou tel point. Car la morale du groupe tend à encourager la solidarité des individus jusque dans les dérives de son fonctionnement communautaire, jusque dans le déni du mal, c'est à dire dans l'impératif absurde de cautionner une action elle-même reconnue comme mauvaise par l'autorité du groupe, mais néanmoins imposée comme provenant d'une décision autoritaire et indiscutable.

Les principes d'éthique s'élèvent dans le refus individuel de rester solidaire du groupe quand le fonctionnement de ce dernier devient intrinsèquement incohérent: refus, dans certaines cultures, de perpétrer des traditions rejetées par une partie de la population (mariages forcés, excision, crimes d'honneur); refus, dans certaines sphères professionnelles du secteur privé, de suivre les directives de l'entreprise décidées au détriment déloyal de la concurrence et/ou de la clientèle (espionnage commercial, dégradation de matériel, escroquerie); refus, dans certaines fonctions publiques, de garder le silence sur les pratiques criminelles de ses collègues (détournement d'argent, corruption, bavures policières).

Pas la peine d'être un grand spécialiste pour se rendre compte, au quotidien, des mauvaises actions encouragées par le groupe, et de la résistance que les individus peuvent lui opposer en leur conscience et en leur objection de conscience quand les individus, à juste titre, ont le courage de dire non à leur groupe et à leur hiérarchie. Voilà l’éthique.

Pour qu'il y ait pardon, il faut qu'il y ait réparation, que des excuses soient présentées, que le coupable ait été puni et qu'il ait purgé sa peine. À supposer qu'il y ait un point de vue divin, sa compassion doit être infinie et, dans l'au-delà, elle effacerait toutes les fautes: le fait que la puissance de l'amour divin soit illimitée, c'est peut-être aussi ce qui la distingue de la compassion humaine qui, elle, est forcément limitée. Que l’on soit croyant ou non, on ne peut mettre les deux sur le même plan.

 

C’est à juste titre que les utopies sociales inspirent la méfiance. Elles peuvent émaner d'entreprises, de pouvoirs publics, de religions ou de réseaux relationnels plus ou moins occultes, à la limite peu importe d'où elles viennent. À trop vouloir socialiser, on court un certain danger: celui d'instaurer un système de contrôle et de surveillance qui empêche l'individu d'exister et qui bafoue tout droit à une vie privée.

Il serait intéressant en effet d'analyser à quel point les utopies sociales prennent peu en compte le respect de la vie privée. Qu'en est-il, du reste, face à une société médiatique? Celle-ci a banalisé la téléréalité et donc, d'une certaine façon, la dépossession de la sphère privée au profit du seul regard de la société. N'est-ce pas finalement un exemple d'utopie sociale réalisée à travers la suprématie du collectif sur l'individuel et sur les droits individuels les plus élémentaires, ceux de garder sa vie pour soi?

Qu'en est-il sur le web, formidable outil d'information et de partage d'informations, mais bel exemple aussi d'utopie sociale perverse qui a banalisé le hacking et le pistage, glanant des informations personnelles sur les gens comme aux heures les plus terribles de l'Histoire? Quel recours devant les tribunaux une personne peut-elle espérer en cas de violation de sa vie privée? Le recours à une commission nationale de l’informatique et des libertés est-il suffisant, du moins dans un premier temps ? Autant de questions à méditer pour mieux se protéger des autres alors qu'il est intéressant, en revanche, de constater que les internautes peuvent, en théorie, avoir des échanges cordiaux autour de centres d'intérêt communs sur les forums du web sans forcément se connaître personnellement et donc dans le respect d'une certaine intimité.

Il y a, en outre, une absurdité à vouloir absolument que les gens se rencontrent, s'aiment et fraternisent. La décision de se rencontrer devrait être le fait d'un élan personnel et spontané, le résultat d'un choix librement consenti. Que l'on prenne l'exemple de ces rencontres de voisinage que des associations veulent à tout prix organiser. A-t-on pensé que les voisins se supportent déjà assez mutuellement, que la plupart des gens subissent déjà assez de contraintes relationnelles au travail et qu'ils n'aspirent qu'à une chose quand ils rentrent chez eux: que l'on laisse ces personnes tranquilles, seules ou avec leurs proches, toujours au nom du droit à une intimité?

On peut envisager de vivre en paix avec les autres mais on ne peut pas, en bref, forcer les gens à s'aimer ni à être heureux ensemble car l'amour et le bonheur sont des sentiments personnels qui appartiennent non pas à la société mais aux individus, d'autant plus que la société, structurée autour du travail, des entreprises et des administrations, est loin d'être innocente d'un point de vue relationnel.

À méditer également avant d'envisager de rencontrer quelqu'un et de nouer des liens personnels avec des gens qui ne partagent pas forcément les mêmes prérogatives sur le plan éthique. En plus de l’organisation hiérarchique du travail s’ajoute une surveillance de chacun par ses collatéraux. Prudence, la déformation professionnelle est toujours d’actualité. L’être humain reste un loup pour l’être humain.

Il faut rappeler que la vie privée concerne plusieurs domaines, notamment la sexualité, la vie sentimentale, la famille et la situation financière. Toute atteinte à la vie privée, que ce soit sous forme d’immixtion, d’indiscrétion, de calomnie ou de harcèlement,  doit être condamnée dans la mesure où la vie privée constitue un territoire propre à chacun et dont chacun est le seul maître.

 

Le domaine carcéral, parmi d'autres, pointe du doigt le fait que le monde va mal car il est mal géré: une prison doit servir à contenir les criminels afin de protéger les autres citoyens, or aujourd'hui, de manière inavouée et avec une hypocrisie écœurante, les prisons sont des zones de non-droit qui mettent gravement en péril la vie de leurs détenus. Les prisons sont des endroits où n'importe qui peut se faire tabasser, violer et contaminer dans des locaux insalubres, avec une nourriture avariée, de l'eau non potable et des douches vétustes. C'est un scandale, la honte des nations, des institutions, de la justice procédurière et des autorités qui laissent perdurer cette situation, avec un cynisme et une délectation cruelle n'ayant d'égale que leur incompétence de notoriété publique.

Une personne par cellule dans des locaux impeccables avec toute hygiène et toutes commodités, de la nourriture parfaitement saine, équilibrée et contrôlée, une protection rapprochée de chaque détenu contre les autres détenus, le droit de rester seul dans sa cellule pour se soustraire à l'agressivité des autres, voilà le minimum exigible pour une prison, qui se doit comme partout ailleurs de faire respecter les droits de l’individu et sa dignité.

L'absence de ce minimum s'explique par manque de moyens, car il n'est pas jugé assez libéral par les institutions politiques et financières que d'investir décemment dans la fonction publique. Les riches décideurs préfèrent donner aux paradis fiscaux, ce qui leur paraît plus lucratif. Ou quand il y a des moyens dans la fonction publique, ils ne servent pas l'intérêt général ni le bon état des prisons, les moyens sont détournés par divers notables nationaux: hauts fonctionnaires, grands patrons, avocats véreux, médecins réputés et autres, vivant sur le dos du peuple comme des parasites, pendant que les détenus sont traités dans des conditions dont même un chien ne voudrait pas.

 

On a trop tendance à psychologiser le crime au détriment de la responsabilité individuelle et de l'acte en lui-même, un crime reste répréhensible. Ce serait à la personne de décider, en marge de sa peine de prison, si elle se considérait comme malade ou pas, si elle souhaitait se soigner ou pas, et de prendre à nouveau ses responsabilités pénales en cas de nouvelle récidive. L'autoritarisme psychiatrique est une aliénation qui prétend dicter aux sujets ce qu'ils sont, alors que la psychologie est du domaine intime et appartient d'abord à la personne concernée. Que l'on laisse à chacun la liberté d'établir son propre bilan psychologique, d'en assumer la responsabilité, et que l'on punisse le crime en tout état de cause.

D'ailleurs cette psychologisation outrancière détourne l'attention des causes de la criminalité issue des injustices économiques frappant les plus démunis, du manque de moyens de la justice, de la pénibilité du travail policier et de l'état de délabrement des prisons laissées à l'abandon par manque de volonté politique. Que l'on punisse le crime par le pénal, et que l'on laisse la psychothérapie à ceux qui décident de s'y rendre de leur propre chef. Ainsi les motifs de consultation disparaîtraient comme feu de paille, ce qui ne gênerait en définitive que le commerce des thérapeutes et son industrie pharmaceutique. Libre à d'autres d'avoir des états d'âme sur l'avenir des psychiatres et psychologues concernés.

 

La prostitution occupe une place à part dans sa relation au débat sur les limites de la criminalité. Elle implique conjointement les notions de liberté sexuelle, de liberté économique, d’atteinte à la vie privée, d’exploitation mercantile de l’intimité d’autrui contre son gré. La prostitution engage tout et son contraire, c’est pourquoi elle tend des pièges au législateur et appelle des précautions contradictoires qui mettent du temps à émerger dans la conscience des différents acteurs impliqués.

Une image cinématographique permet d’évoquer ce débat non sans éloquence, celle du film "Batailles dans le ciel" (2005) de Carlos Reygadas. Au Mexique, le chauffeur d'un général enlève le bébé d'une amie avec son épouse, de remord il se confie à la fille de son patron, qui se prostitue avec des amies dans une maison de femmes, une sorte de bordel de luxe. D'ailleurs le film s'ouvre et se termine sur une vraie scène de fellation alors que le propos n'est pas pornographique, comme quoi l’explicite ne fait pas forcément la pornographie.

C'est un film avec peu dialogues, où les plans fixes sur les acteurs sont travaillés comme des tableaux, souvent des plans fixes assez éloignés pour montrer les personnages de pied dans leur environnement urbain, et travaillés comme des tableaux, donc, car tout est étudié: chaque geste, chaque attitude, chaque expression. Ce cinéma absorbe partiellement l’héritage de celui d’Antonioni, de par sa propension à nourrir le sens par l’image et par le silence (aux antipodes du bavardage narratif qui plombe parfois certaines œuvres des frères Coen, comme "No country for old men").

"Batailles dans le ciel", qui n’est pas un film sur la prostitution, arrive pourtant à dépeindre cette dernière dans toute sa complexité, nourrie de choix et de contraintes. Plutôt que de l’interdire systématiquement, ou de pénaliser les clients, ou encore de fermer les yeux sur les réseaux mafieux qui l’entretiennent, on pourrait imaginer des formes de prostitution acceptables d’un point de vue éthique et légal. Pour que la prostitution demeure un choix et non une nécessité, on pourrait la réserver aux seules amatrices ou occasionnelles, hors réseaux, qui auraient déjà un métier à côté, suffisant pour assurer leur subsistance. Autrement dit, dans un pays de plein emploi, ce type de prostitution ne poserait aucun problème, car assimilé au secteur du luxe.

Il en irait de même pour la pornographie vénale. Il existe une vraie culture de la pornographie mais les interlocuteurs capables d'en parler de manière posée se font rares en ce bas monde. Face à un tel débat la société incite à des réactions de pudibonderie ou de gaudriole, quand ce ne sont pas des attaques personnelles et gratuites. D'un autre côté, les universitaires libertins et les bobos politiques ne se rendent pas vraiment compte des implications de la mafia dans l'industrie pornographique. Le débat n'est pas purement culturel non plus, il est même complètement faussé par l'ignorance et par l'hypocrisie qui sévissent de part et d'autre.

 

La pensée sadienne est à la fois aristocratique et révolutionnaire, trace d’une rupture historique, violente et paradoxale. Pour comprendre cette ambiguïté, il faut d’abord en cerner les motivations profondes et viscérales, revenir à la source: l’énergie sexuelle, ses rapports de domination et sa perversion, laquelle se définit par l’association du plaisir et de l’idée de commettre le mal. On distinguera deux perversions sexuelles: la perversion sexuelle au sens psychologique du terme, qui amène des rapports entre adultes consentants, et la perversion sexuelle au sens criminologique du terme, qui cherche des proies: viols, contaminations volontaires, tortures et mutilations, meurtres.

Le consentement mutuel entre majeurs est la limite entre les deux. Cette limite a beau être clairement définie, elle peut être mince dans certains cas: il existe des masochistes au sens physique du terme, qui peuvent éprouver du plaisir à se faire casser un bras par un sadique. Est-on toujours dans la première catégorie à ce point de brutalité, même si le consentement reste mutuel compte tenu des tendances suicidaires de certains? Le maître va-t-il respecter les limites fixées au préalable par sa soumise, et celle-ci pourra-t-elle toujours exercer son droit de véto si les choses allaient trop loin pour elle? Existe-t-il des sadiques au sens physique du terme capables de faire la part des choses et de s'arrêter à ce qui était convenu? Dans le doute, l’interdiction des sévices corporels s’impose au bon sens.

Le personnage sadien, dans sa part maléfique, appartient nettement à la deuxième catégorie, celle de l'emprise totale, de l'aliénation physique et de la cruauté débridée. Il explore les rapports charnels du simple baiser au massacre en passant par tous les degrés intermédiaires. Non sans ironie, il décrit d'une manière distante, volontiers froide et mécanique, ce que les êtres humains peuvent faire entre eux tout en laissant à l’esprit averti le soin du discernement.

Il faut ensuite mettre en perspective ces rapports de domination physique, faire la lumière sur leur dimension politique. Il s’agit d’une forme de reproduction sociale, qui encourage la hiérarchie et l’inégalité. Elle trahit sa nature conventionnelle et institutionnelle dévoyée. En définitive, elle va plus loin que la seule perversion, dont l’essence est plutôt anarchique et inavouable. Le sadomasochisme, à force de conformisme, pousse la perversion jusqu’à sa propre putréfaction. Il devient l’instrument d’une morale monarchique puis républicaine, qui n’en demeure pas moins mauvaise. Ce qui semble visé à travers l'acte sexuel, c'est l'appartenance du corps et la négation de la personne. D'où le lien avec l’ancien régime: le corps du sujet appartient au roi. La révolution en dévoile toutes les conséquences possibles.

Le  pouvoir a intérêt à ce que de telles conséquences restent cachées: si le corps du sujet appartient au roi, tout est permis à ce dernier. Ce qui est aristocratique dans la pensée sadienne, c'est d'adhérer à la thèse selon laquelle le puissant a droit de vie et de mort sur le faible. Ce qui est révolutionnaire, c'est de révéler au grand jour et donc de dénoncer toute la monstruosité potentielle d'une telle idéologie, qui sera pourtant reprise par la république sous une forme différente. Il faut interdire la torture.

 

La pensée marxiste est une pensée complexe et subtile, que chacun a pu s’approprier à sa manière. À l’université, certains professeurs libéraux, au sens économique et classique du terme, peuvent préconiser une lecture marxiste de l’actualité économique car c’est une alternative en accord avec les notions apparues pour décrire les groupes de pays, dans le monde, considérés comme émergents. La lutte entre ces pays et les pays les plus riches se traduit alors, sur le plan économique, en termes de concurrence selon la logique même du marché. De plus, le communisme a en commun avec le capitalisme une logique industrielle et productiviste. Enfin, la pensée marxiste est souvent décrite par ces enseignants comme une pensée économique classique mais en demi-teinte, ce qui n’est pas totalement faux.

La pensée de Marx propose une critique pertinente du capitalisme. En un sens, elle fait partie du capitalisme sur le versant critique de ce dernier. Les régimes communistes totalitaires se sont écartés de la pensée de Marx en voulant éradiquer le capitalisme à travers l'abolition de la propriété privée des moyens de production, tout en adhérant au productivisme capitaliste. L'essence de la pensée de Marx, elle, reste historiquement, fondamentalement et globalement capitaliste en négatif. Ces nuances, subtilités et distanciations échapperont toujours à des esprits mécaniques, rigides et plats comme semblent l'être ceux de trotskystes tardifs comme Alain Krivine, Olivier Besancenot et consorts, apparemment dénués de profondeur de champ. Ils se contentent de prendre place dans une reproduction politique, à laquelle ils souscrivent aveuglément et littéralement, sans se rendre compte à quel point ils servent la soupe au libéralisme qu’ils prétendent combattre.

 

La rhétorique autour du terme de libéralisme et des différentes notions que ce terme recouvre est une rhétorique complètement galvaudée, ce qui n'incrimine en rien ceux qui cherchent sincèrement à définir cette notion, mais dresse un constat plus étendu de certaines dérives par ailleurs. Au nom de la libre entreprise, on met sur le même plan les paradis fiscaux (et la criminalité financière d'une manière générale), les multinationales, les grandes entreprises, les petites entreprises, en sous-entendant que si l'on n'accepte pas tout le secteur privé en bloc, on n'accepte rien: c'est tout ou rien.

Or les petites entreprises n'ont rien à voir avec les grandes à cause du fossé économique qui les sépare et qui rend leur lien d'identification illusoire. Mais combien de petits entrepreneurs, hélas, se laissent encore berner et se prennent à penser comme des milliardaires?

Par ailleurs, tout ce qui découle de l'évasion fiscale et de la corruption ne saurait être accepté comme une composante du système, mais comme une anomalie qu'il faut combattre et éliminer. D'où une position de gauche avec des influences marxistes, situationnistes, écologistes, mais qui ne se reconnaît ni dans le débat actuel sur le libéralisme, car les oppositions de termes sont biaisées, ni dans la classe politique existante.

 

Le libre-échangisme sauvage est une idée reçue. Soit le pays à l'origine du mondialisme dans le libre-échange, ce pays étant l'un des plus protectionnistes au monde. Tel est le problème de la mondialisation telle qu'elle s'est faite, une politique à géométrie variable, tout pour soi et rien pour les autres, s'octroyer à la fois le droit de tout exporter partout et celui de ne rien importer chez soi. D'où la défense d'un remède paradoxal parmi d'autres éventualités possibles: si l'on ne dresse pas de barrières protectionnistes partout, alors il ne faut le faire nulle part et mettre en place un libre-échangisme absolu. Que ceux qui veulent tout exporter chez les autres s'attendent à ce que la réciproque soit valable.

 

Si un droit quelconque, national ou supranational, avait trouvé une réponse efficace, équitable et satisfaisante pour tous les peuples en matière de gestion de l'immigration, l'événement aurait pu changer la face du monde. Difficile sans codéveloppement, plus facile d'invoquer la prétendue faute de l'étranger. À la frontière, l'anti-immigrationniste absolu ferait figure de soldat sanguinaire aux prétentions patriotiques, tout en continuant à ruer dans les brancards de son propre pays au titre d'affairiste notoire, de la même manière qu'un avocat véreux multiplie les effets de manche dans son tribunal de prédilection. Cependant, une fois convoqué devant les juges pour ses magouilles, il assure sa propre défense en affectant la mine grave et humble d'un musicien d'église penché sur son orgue dans la pénombre, le jour d'un enterrement.

La plupart des intervenants médiatiques ont tendance à suivre la direction indiquée par le débat télévisuel, à savoir prendre parti pour Éric Zemmour ou pour Jacques Attali. La sagesse inviterait à rejeter l’un et l’autre: contre Zemmour parce que, si l’on va dans son sens, on met tous les immigrés dehors tout en continuant à vivre sur le dos de l'Afrique, ce qui est une incohérence; contre Attali parce que, dans l'immigration, il ne voit que la main d'œuvre exploitable par le haut patronat de l'industrie occidentale, dont il est l'un des porte-parole, pendant que les Africains qui émigrent meurent dans des immeubles incendiés.

Il faut réguler l'immigration et assurer aux immigrés de bonnes conditions d'accès à l'emploi et au logement. Ni Zemmour ni Attali ne vont dans ce sens: le premier est un égoïste, le deuxième un bien-pensant hypocrite. Ils sont tous deux à l'image de la classe politique censée diriger à tour de rôle la république.

Si l’on veut lutter contre les réseaux relationnels dans le travail, réduire voire anéantir leur influence pour permettre à chacun d'accéder au marché de l'emploi sans avoir besoin de relations, il faut valoriser les compétences, que l’on peut définir, dans la lignée des auteurs en ressources humaines, comme l'ensemble des savoirs et des savoir-faire mis en œuvre dans une situation de travail donnée en vue de la réalisation d'un objectif professionnel.

Pour valoriser les compétences, il faut une volonté politique d'imposer cette idée aux entreprises et aux administrations. Il faut un cadre législatif, juridique, et appliquer les lois, réformer le droit du travail de façon à imposer certaines méthodes de recrutement, les rendre obligatoires. Ainsi l'employeur devrait également rendre des comptes sur le pourquoi et le comment du choix dans le recrutement, et toujours pouvoir les justifier au nom des seules compétences du candidat.

Une immigration non-régulée est non seulement préjudiciable aux populations déjà présentes sur le sol d'accueil, mais aussi aux immigrés eux-mêmes. On n'est pas obligé de tout accepter ni de tout refuser en bloc: il y a un juste équilibre à chercher, ce que les politiques au pouvoir n'ont jamais fait pour l'instant. C'est surtout quand on parle d'inverser les flux migratoires que le discours nationaliste, quant à lui, révèle une faille: on empêcherait les Africains de venir chez nous, tout en continuant à vivre des matières premières de l'Afrique. Or, s'il y a immigration, c'est justement parce que l'Occident vit sur le dos de l'Afrique en pillant les matières premières du continent noir. Les pauvres Africains, dont on empêche la prospérité économique, viennent dans l'espoir de retrouver un peu ce que l’on a volé chez eux. 

 

Sur la question du déracinement, il faut voir et revoir, entre autres, le film "Exils" (2004) de Tony Gatlif. Deux jeunes Français, un orphelin fils de Pied-Noir et une Arabe déracinée, décident sur un coup de tête de partir pour Alger en quête de leurs ancêtres. On les suit dans leurs galères, leurs fous rires et leurs prises de tête, leurs rencontres avec de jeunes Algériens venus trouver du travail en Europe et qui s'étonnent de leur démarche, des Espagnols, des Gitans, des travailleurs africains clandestins dans les serres, leurs détours par le Maroc, le désert, la montagne. L'aspect humain est filmé avec douceur et authenticité. Les paysages de ruine et de désolation ont une certaine beauté. La bande-son correspond toujours à une étape donnée, c'est aussi un dépaysement sonore. La scène de musique de danse rituelle à Alger est forte, digne d’une anthologie. Le tout montre des personnages ordinaires au quotidien dans des histoires absurdes ou insolites dotées d'une dimension tragique, avec le pouvoir de susciter de vraies émotions car ces personnages sont proches du spectateur tout en arrivant à le surprendre.

 

L’économie est toujours mixte dans le sens où nulle économie n’est jamais totalement vouée au marché ni à l’État, au public ni au privé. Les gouvernements et les entreprises s’influencent mutuellement. Cependant le néolibéralisme ne vise-t-il pas à détruire l’équilibre qu’une économie mixte permet d’atteindre? Baisser de manière forcenée le coût de la main d’œuvre, réduire systématiquement les dépenses publiques, flexibiliser le travail au détriment des travailleurs, voilà qui entraîne une grande misère, une forme d’esclavage, l’acceptation de l’inacceptable au nom de la dictature des marchés et du profit à court terme.

Pour autant, le communisme est-il la seule opposition au néolibéralisme? N’est-ce pas un système productiviste dont les dogmes condamnent toute autre alternative, ce que d’aucuns appellent l’économie communiste de marché? Le capitalisme et le communisme partagent une vision abstraite de l’économie et de l’universalisme, tous deux se traduisent concrètement: l’un par la compétition généralisée et l’instrumentalisation de l’individu, l’autre par l’absence de démocratie et l’instrumentalisation du droit. 

Ne convient-il pas plutôt, pour empêcher la dictature des marchés, d’envisager une économie mixte basée sur une économie concertée, un dialogue permanent entre les entreprises, les syndicats et les États?

Or la concertation est biaisée par les rapports de force. L’espace social se traduit par des luttes et par des dominations liées aux différentes positions occupées par les individus en son sein.

Pour faire évoluer l’économie vers une plus grande solidarité, des économies alternatives essaient de faire entendre leur voix. Individus, collectifs et entreprises mettent en avant le respect d’autrui plutôt que la rentabilité, donnant à la démarche économique une dimension d’engagement.

L’altermondialisme va dans le sens de ces alternatives économiques à échelle à la fois locale et mondiale. Trop de chômage, d’inégalités, de crises financières, d’hégémonie culturelle et de désastres écologiques incitent à penser le monde autrement, dans un mouvement citoyen, régulateur et démocratique. Cependant l’altermondialisme ne prône pas ouvertement une économie mixte mondiale, ses contours restent mal définis et laissent dans le discrédit l’économie mixte telle qu’elle a été développée à échelle nationale par certains États avant de se plier au néolibéralisme. La résistance locale et l’autogestion, l’économie solidaire, demeurent les aspects les plus pertinents de l’altermondialisme.

Par ailleurs, les facteurs environnementaux doivent également être pris en compte. L’écologie et l’économie avaient suivi des voies contraires ou opposées avant d’admettre, de plus en plus, la nécessité de leur rapprochement malgré la persistance des désaccords entre les différents acteurs au sujet de la croissance et sur d’autres aspects du débat. Mais pour faire admettre l'idée que, culturellement et écologiquement, d'autres modèles économiques sont possibles, ne faut-il pas placer la volonté politique au-dessus des prétendues lois du marché? Contrairement à une idée reçue, la théorie économique standard elle-même n’encourage pas la dérégulation de ces derniers et dénonce le gaspillage des ressources qu’une telle irresponsabilité pourrait entraîner.

Le projet d’un État mondial démocratique ouvrirait la voie d’une politique planétaire sur les marchés globalisés, en renforçant le pouvoir des collectifs capables de réguler les débordements de l’économie. L’État doit contrecarrer l’action néfaste des marchés livrés à eux-mêmes. Mais comment parler d'État mondial sans évoquer la population mondiale? Comment tracer les grandes lignes d'un tel projet sans rappeler les liens étroits qui unissent économie et démographie, et les dangers de la surpopulation planétaire?

Dans une vision régulée de l'économie faisant toute leur place aussi bien aux services publics qu'aux entreprises privées, l'économie mixte reste un projet à inventer ou à réinventer mondialement, en se nourrissant de tous points de vue et alternatives progressistes, au-delà de la seule opposition traditionnelle entre classiques et keynésiens, et par une dimension éthique respectueuse de l’homme et de la femme. Il faut garantir certains services publics car d’intérêt général et par solidarité: l’eau, l’électricité, les transports en commun, le courrier, l’éducation, la recherche, la santé, la justice, la police et la défense.

Il ne serait pas juste que tout le monde perçoive le même salaire: certaines compétences, responsabilités, implications et prises de risques méritent une meilleure valorisation. Cependant il faudrait veiller également à ce que les inégalités ne soient pas trop importantes comme c'est malheureusement le cas aujourd'hui. Sans mettre tous les salaires au même niveau, on est quand même en droit d'attendre un minimum: pouvoir vivre décemment de son travail. C'est en ce sens que l'État serait utile pour jouer un rôle de justice, d'équité et d'arbitrage, protéger et aider les plus démunis.

Les grandes surfaces, quant à elles, appartiennent généralement à de grandes entreprises qui génèrent de grands profits et qui remercient très mal les agents sur lesquels elles s'appuient, notamment les producteurs et les salariés. Cependant elles présentent un grand avantage pour la clientèle: celui d'offrir un large choix de tous les produits sur une même surface, ce qui est très pratique.

Il faudrait donc les conserver, mais réformer le système économique dont elles dépendent actuellement. Passer d'un système où une seule grande société possède de nombreuses grandes surfaces, dans son pays voire dans le monde entier (système actuel), à un système où chaque grande surface serait entièrement gérée par des PME, qui en seraient propriétaires (système proposé). En outre, chaque PME serait encouragée et soutenue par les pouvoirs publics en contrepartie d'une rémunération correcte de ses salariés et de rapports économiques équitables avec les producteurs. Seul un programme politique volontaire pourrait imposer une telle réforme. Cette volonté est totalement absente de l'échiquier politique actuel tous bords confondus. Les PME ont intérêt à être de gauche.

Concernant les retraites, voici une solution pragmatique implacable, résumable en cinq points: premièrement, chacun aurait le droit de vivre aussi longtemps qu'il le souhaite; deuxièmement, chacun aurait le droit de mourir quand il le souhaite (droit au suicide assisté sans incitation au suicide); troisièmement, chacun pourrait travailler aussi longtemps qu'il le désire; quatrièmement, chacun pourrait s'arrêter de travailler quand il le désire (mais il ne toucherait aucune retraite, donc il faudrait qu'il se débrouille); cinquièmement, si celui qui choisit le quatrièmement n'a pas les moyens, voir le deuxièmement.

 

Au sujet de la vision manichéenne de l'Histoire pouvant servir de point de départ à un raisonnement dont le but serait d'en montrer les limites et d'embrayer sur les subtilités à côté desquelles l'on serait passé, il faut noter que cette vision manichéenne a nourri les positions antitotalitaires d'une manière assez malhonnête, puisque visant à légitimer les oligarchies financières qui elles-mêmes représentent une forme de totalitarisme malgré leur prétention à la démocratie.

En somme, le stalinisme et le nazisme serviraient d'alibi aux aberrations du monde poststalinien et post-nazi, qu'il faudrait accepter en bloc sous peine de passer pour un utopiste dépassé ou pour un dictateur en puissance: les ficelles sont grosses.

Pour autant, les alternatives opposées ne sont pas exemptes elles non plus d'écueils manichéens à travers la nationalisation systématique de certains secteurs de l'économie qu'elles proposent car on retombe néanmoins dans une forme de communisme.

En revanche, le fait de limiter l'expansion des exploitations privées, si cette limitation était appliquée et étendue à l'ensemble du secteur privé, permettrait aux petites entreprises de se développer et de se maintenir d'autant mieux que le risque de voir se développer de grandes entreprises serait contenu, constituant ainsi une alternative à gauche sans passer par le communisme.

En somme: nationaliser des cultures de bananes, non; interdire les empires de la banane, oui; être contre le capitalisme, pas prioritairement; être contre les excès du capitalisme, oui; être marxiste et penser que de ce fait on est forcément communiste, non; être de gauche avec des influences marxistes dont le combat serait dirigé contre les dérives et contre la criminalité du capitalisme, oui; tout nationaliser, non; établir un État mondial garantissant définitivement des services publics de qualité dans un certain nombre de domaines relevant de la solidarité générale (eau, électricité, santé, éducation, courrier, transports, police, justice, défense) tout en promouvant un secteur privé constitué de petites entreprises pour les autres services, vision de gauche d'une économie mixte mondiale, oui.

Force est de constater, pour ouvrir le sujet sur les institutions et les idées politiques à échelle nationale, qu'aucun parti politique n'a la moindre volonté de forcer la marche du monde pour imposer un tel programme. Les communistes de tradition trotskyste fondent peut-être leur espoir sur certaines formations existantes et médiatisées. Encore faut-il que les partis en question assument leur étiquette, et leur duplicité rhétorique à ce sujet ne plaide pas en leur faveur. Mais si l'on n'est pas communiste, il n'y a quasiment plus personne à gauche car le parti socialiste est un parti corrompu, qui n'a aucune volonté de combattre quoi que ce soit, hormis les cibles faciles.

 

Les républiques oligarchiques et corrompues, qui n’ont de démocratique que le slogan, favorisent la bipolarité et l’alternance, la confiscation du pouvoir par deux camps adverses et complices à la fois. Leurs représentants sont issus des mêmes élites, des mêmes universités ou écoles prestigieuses et fréquentent les mêmes clubs. Leurs partis politiques sont complices des riches et des puissants, méprisant le peuple, et leurs différences politiques sont mineures. De par sa condition, un politicien de cette caste est plus proche de son adversaire désigné que de n’importe quel homme de la rue.

La couleur de peau du candidat n’y change rien, il faut le préciser puisque le politiquement correct a voulu se servir de cet argument pour traduire une avancée culturelle et progressiste qui n’est que supercherie dans la mesure où les populations ciblées n’y gagnent rien. Penser qu’un président va lutter contre les discriminations raciales parce que sa peau est noire, c’est comme penser que la justice est mieux rendue pour les communautés arabes depuis qu’une ministre arabe s’occupe des tribunaux dans un pays à majorité blanche. L’un n’est pas plus défenseur du peuple noir que l’autre du peuple arabe, l’un comme l’autre étant des privilégiés vivant bien loin des misères de la rue.

À part les dictatures communistes, la gauche est de moins en moins représentée dans le monde en termes de partis politiques bénéficiant de financements conséquents. Pour la démocratie et le pluralisme, c’est inquiétant. En guise de protestation, on peut voter blanc ou voter pour de petits partis. Il n’y a pas de raison valable à ce que deux partis politiques se partagent exclusivement le pouvoir à tour de rôle. Il faut interdire le financement public des partis.

La république française, même en admettant que sur le papier son fonctionnement soit démocratique, contredit la démocratie dans les faits: notamment parce que le financement public de certains partis politiques privilégiés aux frais du contribuable est absolument incompatible avec l'idée démocratique d'un pouvoir du peuple par le peuple et pour le peuple. Et, même en admettant que contrairement à la France une république puisse effectivement proposer un système démocratique, une république démocratique sera toujours moins démocratique qu'un régime démocratique.

Ce régime démocratique n'est peut-être, pour l'instant, qu'une utopie mais il est possible de définir un régime démocratique distinct du régime républicain. On dira: si la démocratie est un régime, quel est le système sur lequel elle repose? La réponse est évidente: un régime démocratique ne peut reposer que sur un système démocratique. C'est en cela que la démocratie se démarquerait d'emblée de la monarchie et de la république qui, elles, auraient en commun de pouvoir proposer des systèmes politiques différents. Dans un régime démocratique, il ne peut y avoir qu'un seul système possible: la démocratie.

La question qui se pose alors est: en quoi une démocratie peut-elle différer d'une république au point de prétendre à un régime à part entière? Le régime est déterminé par la propriété du pouvoir, c'est ainsi qu'il se définit. Qui détient le pouvoir? Dans une monarchie, c'est une seule personne: le roi. Dans une république, ce sont plusieurs personnes: outre le président et ses ministres ainsi que le parlement, la république tend à valoriser la bipolarité et l'alternance. Par essence elle réduit le champ du pluralisme et de l'opposition pour préserver les privilèges du pouvoir. C'est ainsi que la révolution française n'a pas été une révolution populaire mais une révolution bourgeoise: le pouvoir de l'argent contre le pouvoir de la noblesse.

Le peuple n'a pas forcément son mot à dire dans une république: ce qui compte avant tout dans une république, c'est l'élite politique et les institutions qui s'y rattachent, c'est l'idée que la politique est un métier que seules certaines personnes autorisées peuvent exercer. On peut éventuellement demander son avis au peuple: élections, référendums, mais le critère institutionnel prévaut. Si la monarchie et la république sont des régimes qui peuvent admettre des systèmes différents (plus ou moins démocratiques, voire pas du tout), c'est parce que ces deux régimes sont au fond proches dans leur vision élitiste et confiscatoire du pouvoir.

D'où cette définition du régime démocratique: si la démocratie c'est le pouvoir du peuple, alors le régime démocratique se distingue de la république en ce que le pouvoir ne revient non plus à plusieurs personnes autorisées, mais à n'importe qui. La politique n'est plus un métier spécifique dans le sens où il ne demande pas de compétence spécifique, étant alors considéré comme l’affaire de tous.

Comment, dès lors, distinguer concrètement un régime républicain d'un régime démocratique? Dans un régime républicain, il peut y avoir financement public de certains partis politiques; dans un régime démocratique, ce serait rigoureusement interdit. Dans un régime républicain, se présenter aux élections peut exiger l'accord préalables des maires et leurs signatures; dans un régime démocratique, les élections seraient absolument libres et n'importe qui pourrait se présenter.

Le financement des partis est un aspect crucial, mais il est aussi question de la signature des maires. Actuellement le contribuable français finance surtout, qu'il le veuille ou non, les campagnes, y compris les campagnes médiatiques, des socialistes et des libéraux. Les maires, majoritairement acquis à la cause de la bipolarité oligarchique, font barrage pour empêcher l'émergence des alternatives politiques. Le peu de place concédée revient à un pseudo-centre qui n'est que l'ombre lui-même, ainsi qu'aux bons et aux méchants de service, les trotskystes et les nationalistes.

Pour empêcher les lobbys dans la politique, il suffirait d'imposer une limite aux financements privés, de façon à obtenir une répartition équitable dans le financement des partis. À ceux qui qualifient la proportionnelle intégrale d’ingouvernable, on rétorquera: elle n’est ingouvernable que si l’on veut qu’elle le soit. Il faudrait imposer une discipline aux parlementaires, avec de lourdes sanctions en cas d’excès, absentéisme ou débordement de temps de parole par exemple.

La définition technocratique omet de prendre en compte les aspects historiques et économiques de ce que l'on appelle une république, en gros, depuis la révolution française. Une république, concrètement et dans l’Histoire récente, c'est un régime qui a été mis en place par des industriels et par des banquiers avec l'appui de la mafia pour contrôler le peuple. Les mafias sont nées de l'instabilité politique en Europe consécutive à la révolution française. Elles ont été instrumentalisées par la bourgeoisie pour stabiliser les peuples tout en asseyant la domination des nouveaux privilégiés, les bourgeois à la place des nobles.

Il y a certes séparation des pouvoirs mais il faut entendre le mot pouvoir dans son acception de privilège. Une république, c'est une séparation des privilèges. On a aboli des privilèges, ceux de la noblesse, uniquement pour les donner à une nouvelle caste politicienne. Les privilèges ne sont plus le fait d'un seul mais de plusieurs. Le système qui dépend de ce régime est donc plus oligarchique, dans les faits, que démocratique.

Un régime démocratique abolirait tous les privilèges de la fonction: il ne serait plus séparation des privilèges mais séparation des tâches. Car dans un régime démocratique la fonction politique serait une tâche ingrate, relativement sous-payée, lourdement surveillée et sanctionnée en cas d'abus, réservée aux seuls idéalistes et dévoués à l'intérêt général. Inutile de jouer sur la terminologie: on l'appellerait démocratie ou État démocratique.

Sur la question de la démocratie directe, pour la rendre gérable à grande échelle, une décentralisation totale serait nécessaire, voire une atomisation et une division de la fonction publique, une certaine indépendance des régions et des communautés, voire encore une structure fédérale visant à équilibrer le pouvoir central, à passer d'un pouvoir vertical et hiérarchisé à un pouvoir horizontal et a-hiérarchique, de façon à promouvoir la politique à petite échelle. La démocratie ainsi définie correspond à un projet altermondialiste.

 

La marge d'action des politiques aujourd'hui est tellement dérisoire face aux requins de la finance mondiale que, finalement, le centre est une quantité négligeable. En théorie un centre serait bienvenu en termes de contribution au pluralisme et à la démocratie, encore faudrait-il que les différences entre la gauche et la droite soient assez importantes pour qu'une synthèse centriste soit intéressante et pertinente en tant qu'alternative politique. Les désaccords de détail sur des demi-mesures insignifiantes laissent les querelles de personnes et de partis prendre le dessus au détriment des idées politiques, puisque celles-ci deviennent inexistantes.

Tel chef centriste, indépendant en termes d'alliance avec d'autres partis, se plaint d'être muselé, victime d'un complot des institutions. Il a le droit de vouloir exister, mais ce qu'il propose est si peu différent de ce que proposent ses confrères des autres partis que l'électeur sensé a du mal à compatir, pour ne rien dire de tel autre chef centriste qui, lui, n'hésite pas à conclure des alliances. Le candidat centriste peut tout aussi bien s'affirmer comme une façade politiquement correcte censée faire oublier le mauvais souvenir des affairistes qui l'ont précédé au sein de la même formation. Il peut avoir l'air plus gentil, plus propre sur lui, mais il n'est pas plus hostile à la mafia que ses anciens collègues.

La seule volonté de tirer la couverture à lui peut expliquer l'attitude d'un nouveau rival centriste: aucune intégrité, aucune éthique, aucun principe, juste une propension à se mettre en avant, à bousculer ses pairs parce qu'il veut être vu et passer devant tout le monde. Le président de la république ne vaut pas mieux, il a la même mentalité. Seule sa réussite fait la différence, car il en faut bien un au sommet du podium. Tel est le darwinisme social, la course des spermatozoïdes dans la vie prétendument politique. Comment ne pas éprouver un désabusement électoral légitime face à une telle désertion? Une charte de probité idéologique devrait être un préliminaire obligatoire à tout engagement dans la vie publique.

 

La notion de politiquement correct occulte le débat politique, dans l’entretien de la confusion entre la probité institutionnelle, légitime, et le panurgisme social, illégitime. Ce dernier entend donner bonne conscience à ses adhérents, via la dissimulation des magouilles sous une apparence de respectabilité collective, comme Jacques Chirac contre la guerre en Irak soi-disant par angélisme, alors que les enjeux étaient pétroliers.

Le problème n'est pas, dans un débat donné, d'adopter telle ou telle position. Ce n'est pas le choix idéologique en lui-même qui détermine ce genre d’attitude, mais les raisons pour lesquelles on y souscrit ou, plus exactement, l'absence de raisons. Qui ne réfléchit pas se contente de suivre le troupeau et de cogner sur ceux qui ne font pas comme lui, sachant qu'il peut cogner tant qu'il veut puisque la majorité silencieuse, présumée ou avérée, le couvre et le protège. C’est la définition même de la bêtise sociale.

 

Que dire d’un candidat à la présidentielle qui, après sa défaite, renie le programme de son parti, affirmant qu’il n’y croyait pas lui-même? Le tollé qu’une telle attitude peut soulever à juste titre est toujours trop bref, tollé que le parti en question s’efforce vite d’étouffer dans un élan révisionniste et calculateur. Demeure la certitude que le candidat désigné voulait devenir président à tout prix, qu’en cela il n’était qu’un éléphant comme un autre. Quant à la soi-disant relève des candidats potentiels de la nouvelle génération, ce ne sont que des salonnards, de jeunes rapaces qui n’aspirent qu’à devenir des éléphants à leur tour. On connaît le schéma.

Ce candidat s’est tout simplement trahi. À force de manœuvres, de tergiversations et de manigances, les politicards se laissent prendre tôt ou tard au propre piège de leur duplicité et de leur esprit tortueux, sous le coup de l’aigreur consécutive à la défaite. Il reconnaît même sa faute après coup, déclarant qu’il serait difficile pour lui de remonter la pente et de regagner la confiance de ses électeurs trahis.

Pour les partisans concernés les plus lucides, ce vote était le vote de la dernière chance, la moindre des choses était de pouvoir compter sur un candidat qui ne se démentirait pas lui-même. L’aveu du double discours est impardonnable en politique car il jette un discrédit sans appel et c’est au parti tout entier, qu’il mette de nouveau ce candidat en avant ou pas, d’en assumer la responsabilité collective.

Vote de la dernière chance, pourquoi? Pour prouver enfin que ce parti était capable d’opérer un virage à gauche, une gauche qui refuse la compromission avec la criminalité financière des lobbyings mondiaux ainsi que l’oppression du peuple par le haut patronat et par la haute fonction publique, divisés mais complices dans leur instrumentalisation des travailleurs et des citoyens. Aujourd’hui ce parti n’aspire qu’à prendre le chemin de cette vague social-démocratie qui ne veut rien dire et qui lui impose comme modèle factuel les partis politiques étrangers ayant déjà expérimenté cette formule sur leur propre territoire, se présentant dans un premier temps comme l’équivalent des partis de droite dans les États considérés comme retardataires de ce point de vue.

Toujours un peu plus à droite. Telle est la dérive néolibérale qui entraîne le monde dans sa spirale infernale, et dont une institution bourgeoise comme la formation politique incriminée se résume finalement à un auxiliaire complaisant, soumis et discipliné.

Il y a certes une sincérité chez les petits électeurs et chez les petits militants qui pensent encore, bien qu’abusés, qu’ils peuvent changer ce parti de l’intérieur et en faire une force de gauche crédible, mais les éléphants ainsi que les jeunes loups médiatiques continuent de tuer cet effort, de manipuler leur base et de s'auto-satisfaire dans la position confortable d’un simulacre de gauche qui arrange les hautes sphères financières mondiales, leur folie, leur incompétence, leur immaturité et leur excès. Alors il faut respecter les petits électeurs et les petits militants, de plus en plus minoritaires, qui continuent de croire en un revirement de gauche et qui s’accrochent à cet espoir héroïque au sein de leur parti.

Mais les autres, les pourris, les complices de l’oligarchie, du mensonge et des magouilles, ceux-là ont beau agiter l’épouvantail du nationalisme comme à leur habitude, ils n’empêchent pas les déçus et les désabusés de voter blanc aux élections suivantes. Et rien, pas même la perspective d’un second tour avec les nationalistes, ne peut inciter les adeptes du vote blanc à changer d’avis: l’expérience de l’extrême droite au pouvoir, on l’a non seulement vécue à une échelle nationale mais aussi à une échelle mondiale, c’est tout simplement la présidence du gendarme mondial qui s’est livré à une chasse au terrorisme irrationnelle ainsi que les dégâts qu’une telle politique a provoqués dans le monde.

Ses adversaires démocrates n’avaient pas et n’ont pas davantage la volonté ni la pugnacité de lutter frontalement contre lui et à présent que les soi-disant représentants de la gauche, toujours un peu plus à droite dans leur imposture, n’aspirent qu’à ressembler à leurs homologues soi-disant démocrates, qui n’ont rien à voir avec la gauche, la voie est décidément libre pour la dérive droitière du monde dont le candidat bourgeois autant que malheureux a désormais accepté d’être le complice en échange des privilèges de la fonction à laquelle il aspire toujours, dans l’ambition morbide qui habite tous ces politiciens sans idéal. Le fait que ce candidat soit une femme n’y change rien, pas plus que l'ironie de son ex-mari accédant aux plus hautes fonctions de l'État cinq ans plus tard.   

Nulle outrance à dénoncer en ces personnes des menteurs ayant porté un coup fatal à leur parti, provoquant la dernière grande vague de déçus à leur détriment. Les droitistes fustigent, un temps, leur rhétorique soi-disant antilibérale. En tant qu’électeurs de gauche, d'autres dénonceront une posture mensongère: ayant renié une fois tout ce qui pouvait ériger leurs propositions en programme de gauche, il ne reste d'eux que leur vrai visage, celui des adorateurs de la finance et de la société, adorateurs qui en cela n'ont ni le désir ni la bravoure de défendre la fonction publique.

 

Un chef d’État esclavagiste peut-il commémorer l'abolition de l'esclavage? À chaque cérémonie célébrant l’abolition historique de l’esclavage, on voit défiler tous ces fantoches de la république, prendre des poses faussement solennelles et graves, prononcer des discours pompeusement vides et ronflants comme à leur habitude. Pendant ce temps, les entreprises et les administrations, entre les mains des acteurs de la finance mondiale, continuent d’asservir le peuple, de le sous-payer, de l’aliéner et de le traiter comme un chien avec l'aval des politiciens qui, conformes à leurs traditions, se succèdent les uns après les autres dans leur couardise et dans leur inefficacité, tous bords politiques confondus.

L'esclavage moderne, une formule plus que jamais d'actualité dans de telles conditions. Quant aux traites négrières, que l'on évoque le pillage des matières premières des continents pauvres, pillage qui se poursuit allègrement sous le contrôle des dictateurs mis en place par les pays les plus riches, aussi républicains soient-ils. Comme avait dit un poète inspiré, le continent noir est un grand frigo que l'on passe son temps à vider mais que l'on ne remplit jamais. Il n’y a malheureusement rien à commémorer.

 

Les tenants de la politique néo-libérale, qui sont tous co-responsables et complices malgré leurs rivalités et quoi qu'ils s'en défendent (FMI, Banque Mondiale, OMC, OCDE, gros actionnaires, dirigeants de multinationales, hommes politiques, hauts fonctionnaires, grands avocats d'affaires, juges corrompus, réseaux d'influence, mafias, paradis fiscaux, banques et organismes de crédit, médias d'informations tributaires de lobbyings), veulent nous faire croire que c'est seulement pendant les crises boursières que le monde va mal, et que ces crises ont le mérite d'assainir et de purifier le système. Il n’y a pas lieu de partager cette vision des choses, pour la bonne et simple raison que, même en-dehors des crises boursières, les problèmes sont graves, il y a toujours autant de pauvreté et même davantage, avec son lot de violences en tous genres, d'injustices et de malheur des populations, dont les bureaucraties financières ne se soucient pas. C'est justement parce que les problèmes s'aggravent et que ce système est continuellement inefficace que de graves crises éclatent parfois, confirmant l'échec du système.

Il faut comprendre aussi que les électeurs sont abusés et conditionnés dans l'idée qu'il n'y a pas d'autre choix possible en-dehors de deux (ou quelques) partis toujours mis en avant par les médias et par des campagnes électorales dont le système de financement n'est pas équitable. L'idée que les alternatives politiques sont inexistantes est évidemment une idée reçue, et les politiciens sont partie prenante dans la responsabilité d'une crise économique dont ils figurent au nombre des artisans. Il y a une grande malhonnêteté de leur part à ce sujet: alors qu'ils passent leur temps à se soumettre aux décisions de la finance mondiale, quand une crise éclate ils prétendent que ce n'est pas de leur faute. Il y a aussi un manque de courage dans cette attitude, et un manque de respect envers l'opinion publique.

 

On peut manifester quand on voit son intérêt à le faire ou par solidarité, peu importe, c'est un droit qui permet à la rue d'agir là où les partis politiques tous bords confondus échouent dans leur prétention à représenter le peuple. C'est un problème général qui concerne tous les petits agents, ceux de la fonction publique bien sûr mais aussi ceux du privé. Il faudrait arriver à mettre en valeur le fait que, malgré les différences qui séparent les environnements professionnels et malgré la soi-disant solidarité corporatiste liant la base à la hiérarchie, une vue de l'esprit car la hiérarchie est déconnectée de la base, il y a davantage de solidarité entre un petit fonctionnaire et un petit salarié du privé voire même un petit patron de PME qu'entre n'importe quel subordonné et sa direction générale dans de grandes structures, qu'il s'agisse d'une grande administration ou d'une société nationale ou multinationale.

En clair, la majorité des travailleurs mènerait, sans le savoir, le même combat contre la petite minorité censée les diriger, et là l'on retombe sur des notions marxistes dont le communisme n'est pas forcément la seule issue. Il serait bien réducteur pour la gauche de n'avoir comme seule option que l'imposture et la bourgeoisie de pseudo-partis de gauche parlementaires ainsi que le communisme qui n'a, dans son malheur historique, engendré que des dictatures de par le monde. Les partis écologistes, quant à eux, ne manquent-ils pas de radicalité dans leur propos? Ce qui a étouffé certains d’entre eux n'est-il pas le tort de rester dans l'ombre des socialistes trop complaisants?

Il y aurait d'autres alternatives à imaginer à gauche en termes de représentativité, le mondialisme lui-même restant limité pour l'instant: face à un forum économique unique on n’a qu’un forum social unique. Mais ce dernier représente un mondialisme de gauche parmi d’autres possibles, qui restent à imaginer. De duel qu’il est, le mondialisme, de gauche en l’occurrence, pourrait devenir pluriel en dégageant d'autres courants de pensée et d'action.

Car il devient de plus en plus difficile de défendre ou d'obtenir des acquis en agissant nationalement. Ce n'est pas la politique nationale qui mène le monde mais la finance mondiale, d'où il ressort que les vrais dirigeants du monde, industriels, gros actionnaires, institutions financières, paradis fiscaux, mafias, ne sont pas élus démocratiquement, et la démocratie apparaît comme une illusion dont les politiques nationaux ne sont que les exécutants serviles et corrompus. La volonté de réduire les effectifs dans les services publics, dont l'enseignement, correspond à un projet d'inspiration néolibérale qui n'a pas été décidé localement.

Pour autant, il y aurait également des réformes progressistes à accomplir nationalement dans le but de donner plus d'ampleur à un mouvement de ras-le-bol général. Par exemple, le fait que les mouvements soient toujours coordonnés par la même poignée de syndicats historiques limite les possibilités d'expression des travailleurs, il faudrait faire éclater la rigidité des structures syndicales pour permettre à une multitude de syndicats d'émerger afin de représenter le ras-le-bol de toutes les catégories professionnelles et d'inciter les petits agents, ceux du privé comme ceux du public, à se retrouver dans un grand mouvement contestataire et unitaire.

En règle générale et à plus forte raison quand le monde du travail ne respecte pas ses travailleurs, ces derniers ont le droit de revendiquer une distance critique et un désabusement, une absence d'adhésion personnelle à l'esprit d'entreprise, à condition de bien faire leur travail pour que jamais leur intégrité ne soit mise en cause, travailler la mort dans l'âme. La force de travail du peuple, malgré tous les défauts du peuple, est la force politique et la force en général qui font tenir le pays et le monde dans lequel on vit. La classe politicienne est un parasite qui vit sur notre dos, nous n'avons pas besoin d'elle en l’état.

 

Les applications concrètes de la politique doivent être laissées à des professionnels et à des scientifiques lorsque le degré de compétence impliqué l'exige: le débat a pour vocation de fixer les grandes orientations, les points de détail reviennent si nécessaire aux agents compétents, en concertation avec la catégorie concernée, les travailleurs qui connaissent leur pratique pour la vivre au quotidien. Voir l'agriculture, l'énergie et d'autres domaines. Quand on dit que les politiques n'écoutent pas assez le peuple, ils gagneraient à le faire non seulement du point de vue de la justice et de l'équité, mais aussi d'un point de vue simplement technique.

 

D. H. T.

http://www.dh-terence.com

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